Le concept de « valeur » a-t-il une connotation pécuniaire, ou en lien avec le mérite et l’importance? Dans les milieux de l’enseignement supérieur, l’évaluation de la valeur d’un diplôme d’études postsecondaires connaît une vogue extraordinaire. Les taux d’obtention d’un diplôme d’études postsecondaires, les compétences en milieu de travail de même que l’emploi en tant que mesures fondamentales du rendement quant à la réussite des étudiants de niveau postsecondaire suscitent bien des débats. Que ce soit par une série spéciale intitulée « Dude, Where’s My Future? » (en anglais seulement), télédiffusée sur une semaine dans le cadre d’une émission portant sur l’actualité locale et qui a révélé en détail la pénurie d’emplois chez les diplômés de niveau postsecondaire et le manque de préparation de certains étudiants qui entrent sur le marché du travail, ou au moyen de plusieurs articles parus dans The Globe and Mail, la préparation des diplômés de niveau postsecondaire alimente les conversations et toute la valeur de l’enseignement postsecondaire semble être en cause.
D’une part, selon la perspective instrumentale, les établissements d’enseignement postsecondaire fournissent aux étudiants un savoir, des compétences et des comportements qui aideront ces derniers à optimiser leur « rendement du capital investi » (RCI), une fois sur le marché du travail. D’après un rapport de la CIBC publié récemment, les étudiants qui s’investissent dans des domaines d’études spécialisés et professionnels comme le droit, la médecine et le génie – lesquels mènent vers des voies professionnelles clairement établies sur le marché du travail – réalisent le plus important RCI au moyen de leurs études postsecondaires.
D’autre part, au sens de la perspective libérale, énoncée de façon percutante par lecardinal John Henry Newman au XIXe siècle puis récemment par Max Blouw, président du Conseil des universités de l’Ontario, le grade de premier cycle en arts ou en sciences ne destine pas forcément l’étudiant à un emploi en particulier, mais il prépare ce dernier à la souplesse dans l’apprentissage, à la participation en vue de régler les problèmes, à l’analyse de même qu’à l’expression claire lorsque vient le temps de formuler des critiques ou de bâtir des coalitions.
La tension entre ces deux perspectives se situe au cœur de la définition de la réussite des étudiants. Du point de vue instrumental, la réussite constitue un résultat qui découle de la manifestation par les étudiants d’un savoir suffisant en lien avec la matière ainsi que du perfectionnement de leurs compétences dont attestent les notes et la progression obtenues dans les cours faisant partie d’un champ d’études postsecondaires; ce processus culmine par la cérémonie de remise des diplômes, après quoi l’étudiant décroche un emploi. Selon le point de vue libéral, la réussite consiste plutôt en un processus où les étudiants en apprennent sur eux-mêmes et autrui, cultivent et expriment leur curiosité, et acquièrent des comportements d’apprentissage à vie et de participation communautaire. Donc, la réussite des étudiants est-elle un résultat ou un processus? La définition de ce concept clé par les décideurs revêt une importance cruciale.
Deux études différentes en Ontario – l’une réalisée au collège Sheridan, et l’autre, intitulée Supporting Student Success et à laquelle plusieurs établissements ont participé – ont pour thème le concept de « réussite des étudiants ». Dans le cadre de l’une et l’autre de ces études, les chercheurs ont invité 1 000 intervenants (étudiants, personnel, cadres supérieurs et corps professoral) à communiquer leurs perspectives et comment ils en sont venus à définir la réussite.
La description du concept de « réussite des étudiants » faite par les participants aux deux études se situe au-delà des résultats tels que les taux d’obtention d’un diplôme et l’employabilité après l’obtention du diplôme. Certes, de tels résultats constituent des éléments de réussite cruciaux, mais ils ne révèlent qu’une infime partie du cheminement que les étudiants suivent lorsqu’ils amorcent des études postsecondaires. Dans l’une et l’autre des études réalisées, les participants ont parlé de l’importance de ce qui se produit relativement au processus de réussite chez l’étudiant (p. ex., établir des liens, avoir un sentiment d’appartenance sur les plans universitaire et social, concrétiser son potentiel, et trouver le programme ou l’établissement qui lui convient le mieux). Dans les cas où la réussite est strictement décrite comme étant l’obtention d’un diplôme ou l’employabilité après l’obtention de ce diplôme, ni le perfectionnement de l’étudiant, ni son vécu et les liens qui influent sur sa croissance personnelle et professionnelle ne sont alors pris en compte.
Nous convenons du fait que des mesures telles que la persévérance scolaire et l’obtention du diplôme sont des volets importants de la réussite des étudiants; cependant, nous estimons que ces mesures ainsi que d’autres indicateurs axés sur les résultats ne doivent pas constituer les seuls moyens par lesquels le gouvernement jauge (et, de ce fait, définit) la réussite des étudiants. Si la réussite des étudiants est présentée comme un processus, qu’elle permet d’englober plusieurs construits, de les mesurer et de prendre en considération les divers besoins et expériences des étudiants, la population obtient alors une définition véritablement globale et exhaustive du concept de réussite.
Nous avons amorcé le présent blogue en posant des questions sur le concept de valeur. Nous mesurons les points auxquels nous attachons de l’importance. Maintenant, si nous souhaitons que les étudiants perçoivent leurs études postsecondaires comme une étape durant laquelle ils acquièrent des habitudes de réflexion utiles dans le cadre d’un apprentissage à vie et apportent quelque chose à leur milieu de travail et leur collectivité, il nous faut mesurer des résultats qui s’inscrivent dans la définition de réussite des étudiants à titre de processus. Le fait de créer et de favoriser une culture propice à l’élargissement de la notion de réussite des étudiants au sein d’un établissement peut comporter des retombées bénéfiques pour les étudiants mêmes, ainsi que le personnel, le corps professoral et les administrateurs qui appuient chaque étudiant au moyen d’une collaboration étroite.
De toute évidence, l’enjeu relatif à la définition et à la mesure de la réussite des étudiants constitue un sujet d’actualité, car l’activité Defining and Measuring Student Success: A Higher Education Policy Research Symposium prévue le 22 novembre affiche complet. Toutefois, elle sera transmise en direct, si bien que vous pourrez participer à distance à la conversation qui y est prévue. Cliquez sur l’hyperlien ci-dessus pour en savoir plus.
-Tricia A. Seifert, Joseph Henry et Diliana Peregrina-Kretz
Tricia A. Seifert est professeur adjointe dans le cadre du programme d’enseignement supérieur à l’IEPO; Joseph Henry est vice-doyen de la réussite des étudiants au Collège Sheridan; Diliana Peregrina-Kretz est doctorante dans le cadre du programme d’enseignement supérieur à l’IEPO.
À notre avis, les blogueuses et blogueurs invités expriment leurs propres avis, et pas nécessairement ceux du COQES.