Par Mary-Claire Ball (Université de Toronto) et Max Karpinski (Université de Toronto)
Le lancement public de ChatGPT, en novembre 2022, n’a pas seulement fait les gros titres : il a également marqué un tournant dans l’histoire. L’intelligence artificielle (IA) et les grands modèles de langage (GML) sont passés du statut d’outils de recherche de niche à celui de technologies utilisées au quotidien, modifiant considérablement la façon dont les gens travaillent, apprennent et créent. Pour les universités, ce changement a été particulièrement radical et les a obligées à tout remodeler, des processus administratifs à l’enseignement, en passant par la recherche.
Dans le cadre du Consortium sur l’IA du COQES, des chercheurs de l’Université de Toronto, de l’Université de Western Ontario et de l’Université McMaster mènent une étude interinstitutionnelle sur les universités de l’Ontario. Leur objectif : trouver les pratiques les plus prometteuses pour une utilisation sûre et éthique de l’IA, et préparer les universités aux répercussions de l’évolution des politiques gouvernementales et des progrès rapides des technologies d’IA.
Des principes vivants dans un domaine en ébullition
L’IA évolue rapidement, et il en va de même pour les discussions sur la manière de l’utiliser de manière responsable. Un examen des principes des entreprises technologiques, des gouvernements et des organisations à caractère éducatif laisse apparaître un consensus toujours croissant : les politiques sur l’IA doivent être flexibles, adaptées et traitées comme des documents évolutifs. Pour les universités de l’Ontario, cela nécessite de reconnaître que toute stratégie doit être adaptée aux changements technologiques en cours, ainsi qu’aux nouveaux défis qui pourraient se présenter.
Le mot qui revient le plus souvent dans ces principes est responsabilité. Il s’agit notamment d’aborder des risques touchant la vie privée, la sûreté et la sécurité, tout en s’engageant à faire preuve de transparence, d’équité et de responsabilité.
Ce qu’en disent les gouvernements
Cette approche se retrouve dans de récents documents politiques canadiens :
- Directives fédérales : En 2023, le gouvernement canadien a publié son Guide sur l’utilisation de l’intelligence artificielle générative à l’intention des institutions fédérales. Ce guide s’inspire des principes PRETES du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, qui sont : Pertinente, Responsable, Équitable, Transparente, Éclairée et Sécurisée.
- Directive de l’Ontario : La Directive sur l’utilisation responsable de l’intelligence artificielle de l’Ontario reprend des principes similaires, en mettant l’accent sur la responsabilité et la transparence.
- Recommandation de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) : Les directives fédérales et provinciales sont conformes à la recommandation de l’UNESCO sur l’éthique de l’intelligence artificielle, qui constitue la toute première norme mondiale en matière d’éthique de l’IA. Cette recommandation est axée sur la protection des droits de la personne et de la dignité humaine, et insiste sur la transparence, l’équité et l’importance de la surveillance et du contrôle humain.
Pour les universités, ces structures directives offrent une base pour créer des politiques alignées aux normes mondiales, en plus de refléter les valeurs spécifiques de l’enseignement supérieur.
L’évolution du paysage législatif
Le cadre réglementaire est toujours en évolution. La Loi sur l’intelligence artificielle et les données (LIAD), introduite en 2022 dans le cadre du projet de loi C-27, a été déposée pour une durée indéterminée avec la prorogation du Parlement en janvier 2025. La LIAD définit une « approche basée sur le risque » conforme aux normes internationales. Mais même dans l’éventualité où ce cadre influence les politiques futures, le premier ministre Mark Carney et son tout nouveau ministre de l’Intelligence artificielle et de l’Innovation numérique, Evan Solomon, pourraient suivre une voie différente et proposer une toute nouvelle législation.
Entre-temps, l’Ontario a déjà adopté le Projet de loi 194, Loi de 2024 visant à renforcer la cybersécurité et la confiance dans le secteur public, qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2025. Cette loi respecte la recommandation de l’UNESCO mentionnée ci-dessus. Le projet de loi 194 modifie également la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (LAIPVP) de l’Ontario, exigeant des institutions publiques (y compris les universités) qu’elles :
- informent le public lorsqu’elles utilisent des systèmes d’intelligence artificielle;
- gèrent et minimisent les risques connus;
- établissent des cadres de responsabilité clairs.
Pour les universités de l’Ontario, le respect des dispositions du projet de loi 194 et de la LAIPVP est désormais une exigence fondamentale de toute stratégie relative à l’IA.
Concordance entre la politique et les valeurs universitaires
Les exigences légales et les principes éthiques applicables ne constituent qu’une partie du travail. Les universités doivent également veiller à ce que les mesures qu’elles mettent en œuvre concernant l’IA s’accordent aux valeurs académiques que sont l’intégrité, l’équité, l’accessibilité et la recherche de la connaissance. En Ontario, de nombreux établissements ont déjà donné la priorité aux politiques relatives à l’enseignement et à l’apprentissage, compte tenu des risques que l’IA fait peser sur l’intégrité académique.
Les approches possibles sont les suivantes :
- la refonte des programmes d’études afin d’y inclure la compréhension de l’IA et l’éthique qui y est liée;
- l’élaboration de normes ou de lignes directrices pour une utilisation éthique de l’IA dans la recherche;
- la définition d’attentes claires quant à la manière dont les étudiants peuvent ou ne peuvent pas utiliser l’IA dans le cadre de leur parcours académique;
- l’assurance d’un accès équitable aux outils basés sur l’IA pour les étudiants, le personnel et les enseignants.
Il s’agit toutefois de défis complexes auxquels aucune université ne peut faire face seule. Une approche coordonnée aidera les institutions à s’adapter plus rapidement, à partager les ressources et à défendre des valeurs communes dans l’ensemble du secteur.
Prochaines étapes : Collaboration et sommet
Afin de préparer le terrain, l’équipe de recherche du Consortium sur l’IA du COQES recueille des informations en menant des entretiens auprès de dirigeants d’universités de l’Ontario et en analysant les réponses existantes des institutions à l’IA. Ces travaux aboutiront à l’organisation d’un sommet sur l’IA qui se tiendra à l’Université de Toronto cet automne.
Le sommet réunira des dirigeants d’universités de partout en Ontario, pour qui ce sera l’occasion :
- d’échanger à propos de leurs succès et des défis auxquels ils doivent répondre;
- de comparer les différentes approches en matière de politiques sur l’IA;
- de discuter de leur conformité à toute nouvelle législation;
- d’envisager les façons d’intégrer l’IA de manière responsable dans l’enseignement, la recherche et l’administration.
Saisir sa chance
L’arrivée de l’IA nous oblige à remodeler les bases de l’enseignement supérieur en temps réel. Pour les universités de l’Ontario, ce changement est synonyme d’opportunités et de défis, et les choix qu’elles font aujourd’hui influenceront la manière dont l’IA contribuera à leurs missions académiques et les appuiera. En travaillant de concert et en demeurant ouvertes à différentes approches, les universités de l’Ontario peuvent se préparer à un éventail de possibilités, qu’il s’agisse d’adopter de nouveaux outils, de fixer les limites de leur utilisation ou d’explorer d’autres solutions. Le sommet sur l’IA organisé à l’Université de Toronto offrira un espace pour ces conversations, invitant les dirigeants à échanger des idées, à communiquer leurs préoccupations et à imaginer ensemble ce que pourrait être l’avenir de l’enseignement supérieur dans un monde influencé par l’IA.
Outre le sommet sur l’IA de l’Université de Toronto, le COQES organise sa dixième conférence annuelle, RepENSée :Façonner l’avenir de l’EPS en Ontario, qui se tiendra le 7 novembre 2025. Des membres de cette équipe de projet, ainsi que des collègues d’autres collèges et universités de l’Ontario, y participeront. Inscrivez-vous avant le 17 octobre pour bénéficier du tarif préférentiel!