Blogueur invite : Ryan Whibbs
Une discussion fascinante a eu lieu récemment pendant l’émission The Current diffusée sur la chaîne anglaise de Radio-Canada. L’animatrice Anna Maria Tremonti et ses invités, soit Don Tapscott, chancelier de l’Université Trent; Sarah Watts-Rynard, directrice générale du Forum canadien sur l’apprentissage, et David Ticoll, conseiller spécial auprès de la Coalition canadienne pour une relève en TIC, ont discuté du « débat sur la valeur des métiers spécialisés par rapport à celle de l’éducation en arts libéraux ».
Vers la fin de l’émission, Mme Tremonti a posé à M. Ticoll la question suivante : « Pourquoi lorsque nous discutons de cette question faut-il toujours choisir entre l’un ou l’autre des scénarios? » Pour quelles raisons les programmes d’études menant à un diplôme sont-ils si différents de ceux axés sur les compétences sur lesquels repose la formation des apprentis? La réponse à cette question, comme l’a souligné M. Ticoll, est aussi complexe que notre économie.
De plus en plus d’employeurs dans les différents secteurs de l’économie cherchent des candidats qui possèdent, ce qu’appelle M. Ticoll, des compétences « intégrées » : certaines aptitudes à la pensée critique, en analyse et en communication, une connaissance des sous-secteurs de l’industrie et une formation professionnelle propre à l’industrie. En l’occurrence, M. Ticoll parlait des domaines liés aux technologies de l’information : des étudiants en conception visuelle qui ont suivi des cours en histoire de l’art, en conception de sites Web et en édition, ou encore des avocats experts en TI qui ont suivi une formation en informatique.
La discussion m’a marqué : cette division était-elle requise? Est-ce que cette division entre la formation professionnelle et celle menant à un diplôme et à un grade profite toujours à l’économie comme elle le faisait il y a 10 ans? Y aurait-il une façon d’établir les cheminements scolaires de façon à élargir la formation « intégrée » entre le diplôme non traditionnel et la formation d’apprenti? Est-ce même nécessaire?
Il semble que de plus en plus la réponse soit « oui ». Bon nombre d’industries veulent que les diplômés aient suivi une formation « intégrée », mais il appartient aux diplômés de s’assurer qu’ils ont suivi l’éducation et la formation requises.
Dans l’industrie culinaire, les diplômes de baccalauréat commencent à prendre le pas à l’échelle internationale. Par l’entremise de son programme Voyager, Marriott (hôtels Marriott, Ritz-Carlton, Renaissance et Courtyard by Marriott) offre aux nouveaux diplômés titulaires d’un grade des stages en gestion dans toute une panoplie de domaines à travers le monde. À l’heure actuelle, il n’est pas possible d’obtenir un diplôme d’art culinaire au Canada. Marriott acceptera les candidatures de compagnons dans le cas des cuisiniers canadiens, bien que nos cuisiniers doivent concurrencer avec des candidats américains titulaires d’un diplôme d’art culinaire et les diplômés canadiens du domaine de l’accueil.
Actuellement, le cheminement pour les cuisiniers souhaitant obtenir un diplôme consiste principalement à suivre un programme collégial qui sert de passerelle vers des programmes universitaires d’une durée beaucoup plus longue. Les diplômés d’un programme de deux ans en gestion culinaire des grands collèges de l’Ontario reçoivent souvent l’équivalent de trois cours en crédits universitaires. Ils devront ensuite étudier encore trois ans et demi dans une université, portant ainsi la durée totale de leurs études à cinq ans et demi, avant d’être prêts à s’inscrire au programme de stages en gestion de Marriott.
Il existe certains programmes de transfert de crédits avec des programmes américains menant à l’obtention d’un grade en art culinaire, dont le programme de l’Université Johnson & Wales en Floride, mais les étudiants doivent dans ce cas-ci également terminer trois années et demie d’études supplémentaires. Ils doivent en outre verser des droits de scolarité comme étudiants étrangers à l’établissement américain.
Il s’agit de la situation en ce qui a trait aux diplômes. C’est encore pire pour les cuisiniers voulant obtenir la désignation Sceau rouge et un diplôme. Si un cuisinier reçoit le titre le plus reconnu dans le domaine – la désignation Sceau rouge – et veut ensuite obtenir un diplôme en vue de devenir gestionnaire d’un service alimentaire, il devra suivre trois années de formation comme apprenti et quatre années d’études universitaires, donc sept ans de formation au total. Un étudiant diplômé aurait obtenu son baccalauréat et sa maîtrise et aurait terminé deux années de son doctorat au moment où notre cuisinier recevra son diplôme qui lui permettra de décrocher un poste de gestion.
Quelle est la réponse? L’une d’entre elles repose sur une réévaluation de la façon dont nous voyons les aspirations professionnelles des étudiants postsecondaires de l’Ontario. Certains des étudiants souhaitant suivre une formation professionnelle envisagent peut-être de faire des études menant à un diplôme dans leur domaine ultérieurement. D’autre part, les étudiants ayant obtenu un grade peuvent aussi prévoir d’acquérir une formation pratique dans leur domaine afin d’accroître leur valeur perçue par d’éventuels employeurs. De nombreux employeurs dans les différents secteurs de l’économie cherchent des candidats ayant suivi une formation « intégrée », et nous pourrions aider les étudiants postsecondaires de l’Ontario en tenant compte de leurs intérêts à ce chapitre.
Il faut réévaluer les modèles traditionnels comparant les programmes d’études menant à un diplôme et les programmes de formation des apprentis; et cette réévaluation doit tenir compte de l’évolution rapide de nombreux secteurs de l’économie. Cela ne veut pas dire qu’il faut fusionner les deux types de programmes, mais plutôt créer des programmes « intégrés » qui tirent profit des caractéristiques les plus efficaces et pertinentes des deux approches à la formation professionnelle et théorique.
En offrant plus d’occasions aux étudiants postsecondaires de l’Ontario d’acquérir un agencement plus varié de compétences professionnelles et théoriques, nous supprimerions certains des obstacles que doivent surmonter les nouveaux diplômés au moment de se joindre aux secteurs de l’économie qui exigent une gamme plus vaste de compétences de base que ce que les programmes d’études actuels leur permettent d’acquérir.
Ryan Whibbs est candidat au doctorat en histoire à l’Université York. Il a obtenu la désignation Sceau rouge comme cuisinier en 2002. Ryan continue de cuisiner, d’écrire au sujet de la cuisine et de l’industrie culinaire, et il enseigne la gastronomie dans le cadre du programme d’apprentissage de cuisinier à la Stratford Chefs School.
À notre avis, les blogueuses et blogueurs invités expriment leurs propres avis, et pas nécessairement ceux du COQES.