On peut résumer le défi que doit relever le Canada au chapitre de l’enseignement supérieur au moyen de cette question : Comment pouvons-nous assurer une éducation de qualité supérieure à un plus grand nombre d’étudiants même si nous ne disposons pas de plus d’argent?
Je sais que certains seront d’avis que la solution tient à un financement accru de la part des gouvernements. Toutefois, le système d’enseignement postsecondaire du Canada profite déjà d’un niveau d’aide publique supérieur à celui qu’accorde la majorité des autres pays à leur système. De plus, la qualité du système ontarien (qui représente environ 40 % de l’ensemble des inscriptions à des études supérieures au Canada) a fait l’objet de préoccupations croissantes même si le gouvernement a augmenté considérablement les fonds investis dans le système.
Heureusement, le Canada est aux prises avec le même défi que de nombreux autres pays à l’échelle mondiale, ce qui nous permet de nous pencher sur les mesures que prennent d’autres pays pour améliorer leurs systèmes d’enseignement supérieur. Fait intéressant à souligner, les mesures prises par les autres pays reposent sur un ensemble bien limité de stratégies de base :
- Les gouvernements gèrent le système et cessent de microgérer les établissements d’enseignement. Les gouvernements créent un cadre de politiques, de pratiques et de mesures incitatives qui décrit les buts souhaités par l’administration publique et qui guide les établissements d’enseignement au sein du système afin qu’ils atteignent ensemble ces objectifs et que chaque établissement donne le meilleur rendement possible. Les gouvernements s’abstiennent d’adopter des politiques et des pratiques qui dictent aux universités et collèges la façon d’atteindre ces objectifs. Ils laissent plutôt aux spécialistes, œuvrant habituellement dans les établissements, et non au gouvernement, le soin de trouver les moyens de les atteindre.
- Les gouvernements créent des mécanismes de responsabilisation clairs et transparents. Les gouvernements assurent un suivi du rendement des établissements d’enseignement afin de les tenir responsables et de déterminer les domaines où des améliorations s’imposent. À cette fin, il faut procéder à l’évaluation de paramètres et d’indicateurs pertinents et utiles pour le public, les étudiants et les établissements. Une bonne pratique consiste à donner accès à ces données au public. Les mécanismes de responsabilisation les plus efficaces sont ceux qui sont étroitement liés au financement.
- Les gouvernements financent les établissements d’enseignement en fonction des résultats plutôt que des intrants. Cette pratique met l’accent sur ce qui compte, c’est-à-dire l’atteinte des résultats souhaités. Par exemple, le financement n’est pas accordé en fonction du nombre d’étudiants inscrits, mais plutôt selon le nombre d’étudiants ayant obtenu leur diplôme. Cette stratégie force les gouvernements à décrire avec précision les résultats qu’ils souhaitent que leur système atteigne : Un plus grand nombre d’inscriptions? Des étudiants mieux préparés à occuper les emplois offerts? Un plus grand nombre d’établissements de classe mondiale? Un plus grand nombre de découvertes pouvant être mises sur le marché? Il est tout à fait acceptable de vouloir atteindre plus d’un résultat souhaité. Cependant, un trop grand nombre de résultats souhaités dilue les efforts déployés par le système et peut réduire considérablement le nombre d’établissements atteignant les niveaux les plus élevés de rendement. De plus, il n’est pas nécessaire que tous les établissements apportent la même contribution à tous les résultats souhaités.
- Adopter une politique de différenciation. La différenciation signifie que les attentes envers l’ensemble des établissements au sein du système ne sont pas les mêmes. Le système est plutôt conçu pour permettre à chaque établissement de continuer de faire ce qu’il fait le mieux et, par conséquent d’apporter leur contribution optimale au système. Ainsi, les étudiants acceptés, les programmes offerts, l’équilibre entre l’enseignement et la recherche ainsi que les moyens de financement peuvent être différents d’un établissement à l’autre. La différenciation constitue le meilleur outil à la disposition des gouvernements, en particulier en période de restrictions financières, pour améliorer la qualité. Un système différencié fournit aux étudiants des choix clairs parmi un ensemble d’établissements de qualité supérieure qui pourront répondre à leurs besoins et aspirations. Combinée à un système de transfert de crédits bien conçu, la différenciation permet aux étudiants de passer facilement et efficacement d’un établissement à l’autre si leurs besoins et aspirations changent.
Ces stratégies de base sont interdépendantes. La réflexion au sujet des résultats et de la différenciation entraîne nécessairement une réflexion à l’échelle du système. Une responsabilisation efficace exige d’établir clairement les résultats souhaités. La différenciation nécessite d’apporter des changements aux formules de financement.
Certaines provinces au Canada ont adopté quelques-unes de ces stratégies. Par exemple, la Colombie-Britannique et l’Alberta ont mis en place un système d’enseignement supérieur différencié qui repose sur une classification des universités en fonction de leur vocation de recherche. L’Ontario commence à adopter une différenciation fondée sur les ententes de mandat conclues avec chacun de ses 44 établissements d’enseignement. En général, cependant, le Canada accuse du retard par rapport aux autres pays en ce qui a trait à son débat sur les résultats, à la collecte de données précises et utiles pour gérer l’enseignement supérieur, à son engagement envers l’amélioration continue de la qualité de son secteur d’enseignement supérieur, à sa volonté de tenir les établissements responsables de leur rendement et à sa volonté d’associer le financement aux mandats différenciés.
Le Canada possède un très bon système d’enseignement postsecondaire qui a été bénéfique au pays jusqu’à présent. Plusieurs de nos établissements d’enseignement se classent parmi les 100 meilleurs au monde. Il s’agit là d’une bonne plateforme sur laquelle s’appuyer pour l’avenir. Nous connaissons les stratégies que les autres pays utilisent pour améliorer la qualité de leurs systèmes d’enseignement postsecondaire. Ces autres pays progressent avec un sentiment d’urgence, avec une rapidité et à une si grande échelle qu’ils pourraient bien laisser le Canada loin derrière eux. Le moment est venu pour le Canada de s’attaquer plus sérieusement à l’amélioration de ses collèges et universités, et nous n’avons pas besoin, ni ne disposons, de 8 à 10 ans pour trouver la meilleure façon de procéder.
Harvey P. Weingarten est président du Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur.
Le présent texte est paru à l’origine dans The Globe and Mail.