Répercussions d’une transition vers l’enseignement en fonction des habiletés sur la productivité : analyse du contexte et examen de la documentation pertinente

L’enseignement supérieur en fonction des habiletés en Ontario? La prudence est de mise

L’enseignement en fonction des habiletés (EFH) représente peut-être une voie à suivre pour améliorer la qualité, la reddition de comptes et le contrôle des coûts des études postsecondaires, mais un nouveau rapport publié par le Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur (COQES) recommande de faire preuve de prudence avant de l’utiliser pour le système d’enseignement supérieur de l’Ontario. Selon les auteurs, la démarcation entre les programmes d’EFH et les programmes types d’enseignement s’effrite, et les établissements pourraient mettre en œuvre certaines des caractéristiques de l’EFH sans devoir mettre en place de nouvelles structures de prestation scolaire.

Bien que l’enseignement en fonction des habiletés soit défini de différentes façons, sa définition repose en général sur le principe des études autorythmées dans le cadre desquelles la progression n’est pas fonction des heures de cours, mais de la façon dont l’étudiant manifeste sa maîtrise de connaissances et de compétences particulières. L’étude Répercussions d’une transition vers l’enseignement en fonction des habiletés sur la productivité : analyse du contexte et examen de la documentation pertinente traite de la façon dont une transition vers une éducation fondée sur les habiletés pourrait influer sur les coûts, la qualité, la productivité et la reddition de comptes des programmes, des établissements et des systèmes d’enseignement supérieur, en particulier à la lumière d’autres modes plus traditionnels de prestation scolaire.

Description du projet

L’étude a comporté un examen de la documentation portant sur l’élaboration des programmes d’enseignement en fonction des habiletés au niveau postsecondaire ainsi que sur les changements relatifs à la rentabilité et à la productivité de l’enseignement postsecondaire, et une analyse du contexte d’un échantillon de programmes d’EFH. Les auteurs ont en outre créé une enquête afin de comparer les ressources requises entre les programmes d’enseignement en fonction des habiletés et les programmes scolaires traditionnels.

Les auteurs ont examiné des programmes offerts à l’Université Southern New Hampshire, au Collège Alverno, au Collège Excelsior, à l’Université De Paul, à l’Université King’s College (London, Ontario), à l’Université Northern Arizona et à l’Université Western Governors.

Constatations

Le rapport présente une « évaluation prudente » de l’EFH en tant que modèle de prestation scolaire et appelle également à la prudence au moment d’envisager l’instauration de l’enseignement en fonction des habiletés dans le cadre de l’enseignement postsecondaire de l’Ontario.

Les auteurs soulignent que la plupart des modèles d’EFH mis en œuvre au sein du secteur universitaire sont axés sur la formation professionnelle ou générale, comme les affaires, l’éducation, les soins infirmiers, la technologie de l’information, la médecine et le génie. De plus, ils ont tendance à s’adresser aux adultes plus âgés qui travaillent. Pour que l’enseignement en fonction des habiletés comporte une incidence appréciable sur la productivité et les coûts du secteur postsecondaire, ces programmes devront être offerts à la cohorte d’âge postsecondaire type ainsi que dans les domaines des arts libéraux, des lettres et sciences humaines, des sciences sociales, et des sciences physiques et de la nature. Aux États-Unis, il existe un créneau de marché considérable pour l’EFH, qui accuse un retard par rapport à celui du Canada quant au taux de participation des 25 à 64 ans aux études postsecondaires et qui met constamment l’accent sur la satisfaction des besoins des adultes qui travaillent. Selon les auteurs, on ne saurait établir avec certitude s’il existe en Ontario un tel créneau de marché qui n’est pas déjà desservi par les établissements actuels.

Si l’enseignement en fonction des habiletés doit comporter d’importantes retombées sur la productivité et l’efficacité du secteur postsecondaire de l’Ontario (un résultat dont il reste à faire la démonstration, selon les auteurs), il faudra l’instaurer à grande échelle.

L’examen de la documentation a révélé qu’il n’existe pas d’études qui traitent directement ou indirectement de la productivité de l’EFH, ni d’éléments d’information à l’appui de l’argument selon lequel l’enseignement en fonction des habiletés constitue une plateforme améliorée pour la réussite des étudiants. D’après le rapport, il n’existe pas d’études comparant la réussite sur le marché du travail des titulaires de grade ayant reçu un enseignement en fonction des habiletés et ceux issus des programmes types. Il n’y a pas d’études systématiques et exhaustives indiquant que les prétendues compétences issues d’un programme d’EFH se traduisent par une amélioration du rendement, ou bien dans les résultats liés à l’obtention d’un grade, ou bien sur le marché du travail. « Nous n’insinuons pas que l’EFH ne permet pas de rehausser le rendement des étudiants », ont déclaré les auteurs. « Tel peut être effectivement le cas, mais nous n’avons pu trouver d’éléments d’information à l’appui de cette affirmation ».

Qui plus est, l’étude a révélé que les coûts associés à l’EFH sont relativement semblables à ceux des programmes types. La mise en place d’un système de prestation de l’EFH s’accompagnerait vraisemblablement d’un coût des immobilisations supérieur. Les coûts continus quant à la prestation du programme et à la gestion scolaire de l’établissement pourraient être supérieurs dans le cas de l’EFH, mais ils pourraient être contrebalancés par les coûts inférieurs des membres du corps professoral.

Parmi les défis à relever au moment d’instaurer l’EFH au sein du système d’études secondaires de l’Ontario, mentionnons une culture et une pratique axées sur l’autonomie institutionnelle, la composition du corps professoral en lien avec les programmes d’EFH (de même que la nature de l’enseignement en soi) qui ne constitue pas la norme dans les universités de l’Ontario et les mécanismes de financement (y compris l’aide aux étudiants) qui devraient être réévalués ou révisés.

L’enquête menée auprès des établissements a révélé d’importantes différences quant à la façon dont l‘EFH est mis en œuvre, y compris en ce qui a trait à la structure de prestation, la taille des programmes et les destinataires. Selon les auteurs, cette souplesse témoigne de l’effritement de la démarcation entre les programmes d’EFH et les programmes types d’enseignement. Ils ajoutent qu’il se peut que des rajustements aux programmes types d’enseignement permettent d’atteindre les objectifs souhaités sans qu’il y ait lieu de mettre en place de nouvelles structures de prestation scolaire.

Si des études en arts libéraux, en sciences humaines et en sciences donnent lieu à l’acquisition d’habiletés, ces dernières sont toutefois « enfouies » à même le programme d’études plutôt qu’être retirées et évaluées directement comme elles le seraient dans le cadre d’un programme d’EHF. « Les universités doivent concevoir des moyens afin de mieux évaluer et communiquer aux étudiants, aux employeurs et aux autres intervenants le rapport entre le plan de programme ou de cours et les habiletés générées par l’achèvement du programme menant à un grade »,ont précisé les auteurs.

Le modèle d’enseignement en fonction des habiletés inspire diverses mesures, dont l’intégration de l’autoévaluation des étudiants à titre de composante des cours et l’élaboration d’un relevé de notes descriptif précisant les résultats d’apprentissage obtenus, une fois le cours mené à bien, en des termes propres aux habiletés génériques, afin d’éclairer à la fois les étudiants et les employeurs.

L’étude Répercussions d’une transition vers l’enseignement en fonction des habiletés sur la productivité : analyse du contexte et examen de la documentation pertinente  a été réalisée par Brian Abner, Oksana Bartosh et Charles Ungerleider du Groupe de recherche sur les faits et les politiques Directions, avec l’aide de Rob Tiffin.