Parmi les priorités que doit privilégier le nouveau gouvernement fédéral, il y a le raffermissement de la modeste croissance économique du Canada dans une optique englobante, de telle sorte que ceux au sommet de la répartition des revenus ne soient pas les seuls à en bénéficier.
Selon toute vraisemblance, en raison à la fois du vieillissement de la main‑d’œuvre et de la croissance de la productivité dont la cadence s’est récemment révélée anémique, la productivité réelle ne progressera que d’environ 1,5 %/année au cours des prochaines décennies. Ce taux ne suffira ni à créer de nombreux emplois, ni à appuyer les revenus réels en hausse, ni à financer les services publics sans augmenter les impôts.
Un nouveau programme des habiletés devrait constituer le point de mire d’un plan de croissance économique élargi et approfondi. Autrement dit, pour que l’économie du Canada soit vigoureuse et concurrentielle à l’échelle mondiale, il lui faut un apport constant de travailleurs possédant les connaissances, les habiletés et les compétences requises au sein d’une économie axée de plus en plus sur le savoir. D’après les récentes recherches effectuées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il est essentiel d’améliorer l’adéquation des habiletés afin d’accroître la productivité et de réduire les inégalités de revenu.
Le Canada compte parmi ses plus grands atouts une population très instruite. De plus, les établissements d’enseignement secondaire au pays jouent indiscutablement un rôle fondamental dans la scolarisation des Canadiens prêts à s’intégrer au marché du travail. Toutefois, le pays est rongé par d’interminables débats quant à savoir si les diplômés au pays acquièrent les habiletés appropriées. Chose certaine, si les habiletés acquises par les étudiants ne sont pas en phase avec les besoins actuels et futurs du marché du travail, ni les particuliers, ni la collectivité n’y gagneront au bout du compte.
Il ressort des nombreux sondages menés récemment auprès des employeurs un ensemble d’habiletés jugées cruciales à la réussite dans le marché du travail moderne. Les habiletés et compétences d’ordre général – dont la littératie, la numératie, la communication, la pensée critique, la résolution de problèmes ainsi que diverses caractéristiques personnelles comme la résilience, la créativité et l’efficacité dans le travail d’équipe – et qui ne sont pas exclusives à une discipline particulière sont celles auxquelles les employeurs s’intéressent le plus.
Voilà des constatations qui semblent très attrayantes. En effet, un nombre croissant de travailleurs doivent exécuter une gamme de tâches sans lien direct avec leur champ d’études. Le particulier qui entre actuellement sur le marché du travail occupera vraisemblablement de nombreux emplois et exercera même plusieurs professions avant de prendre sa retraite. Les compétences d’ordre général procurent les habiletés de base qui sont transférables d’un emploi à l’autre.
Pour créer un nouveau programme des habiletés, il est nécessaire d’améliorer l’harmonisation améliorée entre, d’une part, les habiletés et compétences propres au marché du travail moderne et, d’autre part, la formation donnée dans les établissements d’enseignement postsecondaire. Voici les trois mesures particulières que nous proposons pour favoriser une telle harmonisation.
Premièrement, il importe d’en savoir beaucoup plus sur le lien entre l’offre et la demande de main‑d’œuvre ainsi que les résultats obtenus par les diplômés. De 1978 à 2011, il n’y avait même pas au Canada d’enquête sur les postes vacants, les seuls renseignements disponibles étant de niveau trop global pour être utiles. Les enquêtes périodiques ayant pour thème le degré de réussite des diplômés collégiaux et universitaires sur le marché du travail donnent seulement un aperçu de quelques années. De plus, les jeunes et leurs parents qui en sont à envisager leurs options en matière de scolarité et de profession sont rarement mis au courant des résultats de telles enquêtes.
Mais il existe des signes encourageants. Une nouvelle enquête de Statistique Canada sur les postes vacants fournit des renseignements plus détaillés sur les types d’emplois disponibles et l’endroit où ceux‑ci se trouvent, des groupes d’employeurs sondent leurs membres pour déterminer les habiletés auxquelles ils attachent la plus grande importance, et des analyses à plus long terme sont faites quant aux résultats qu’obtiennent les diplômés de certains programmes d’études postsecondaires. Plus les enquêtes et le suivi ayant trait aux professions se situent au‑delà des connaissances propres aux disciplines pour se rapporter aux compétences générales, et plus les étudiants, leurs parents et la population en général y ont accès, mieux c’est!
Deuxièmement, il y a lieu d’acquérir une connaissance davantage rigoureuse et factuelle des habiletés particulières, dont les « nouvelles habiletés » traitées ci‑dessus, qui donnent de bons résultats sur le marché du travail. En outre, il convient de ne pas évaluer la réussite strictement en fonction de l’emploi et du revenu, mais de tenir compte des résultats au sens large comme la satisfaction au travail et en milieu professionnel. Il s’agit ici d’en arriver à des éclaircissements sur la nature des programmes d’enseignement postsecondaire et les résultats recherchés qui s’y rapportent.
Troisièmement, les établissements d’enseignement postsecondaire doivent s’améliorer en ce qui touche la mesure et l’attestation des habiletés cognitives et transférables d’ordre général qui sont considérées comme importantes au sein du marché du travail, de même que la détermination des pratiques et expériences pédagogiques les plus propices à l’acquisition de telles habiletés. Les établissements d’enseignement postsecondaire ont coutume d’affirmer que leurs diplômés savent bien lire et écrire, qu’ils font preuve de résilience, qu’ils sont capables de résoudre des problèmes, et qu’ils sont en mesure de bien communiquer; or, les récentes données à ce chapitre semblent indiquer qu’il y a nettement matière à amélioration. Heureusement, la tendance qui consiste à mesurer les résultats d’apprentissage, à en attester et à les favoriser est en plein essor dans les milieux de l’enseignement supérieur.
Certains progrès sont actuellement réalisés en ce qui touche l’adéquation du perfectionnement des habiletés et des exigences en matière d’habiletés partout au Canada. Cependant, une stratégie coordonnée à ce chapitre rehausserait considérablement les résultats obtenus. La collaboration entre gouvernements provinciaux ou territoriaux, entreprises et établissements d’enseignement se révèle favorable sur ce plan‑là, et il en résultera peut‑être une vue d’ensemble nationale. Cela dit, l’éducation et le marché du travail recoupent des domaines de compétence provinciale, sectoriels et professionnels. Il serait particulièrement opportun que le gouvernement fédéral s’investisse davantage dans une collaboration avec les gouvernements provinciaux ou territoriaux. Étant donné la grande importance que revêt pour l’avenir au Canada un nouveau programme des habiletés, celui‑ci ne saurait résulter de stratégies et de mesures fragmentaires ou disparates.
Harvey Weingarten est président-directeur général du Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur. Don Drummond est titulaire de la chaire Stauffer-Dunning de l’Université Queen’s, et Ross Finnie est directeur de l’Initiative de recherche sur les politiques de l’éducation à l’Université d’Ottawa. Le commentaire ci‑dessus est paru à l’origine dans la livraison du 20 octobre du quotidien The Globe and Mail.