Les études supérieures sont souvent présentées comme un investissement, par les étudiants pour leur avenir et par le public dans un contexte économique vigoureux et à titre de citoyen engagé. Les bons investisseurs font leurs devoirs et prennent leurs décisions en s’appuyant sur des faits et des données. Est-ce que le Canada dispose d’une quantité suffisante de données pour prendre des décisions d’investissement éclairées en matière d’enseignement supérieur?
À l’occasion du Colloque sur les données nationales en matière d’enseignement postsecondaire organisé récemment par le COQES, il a été souligné que nous disposons de nombreuses données, mais qu’elles sont en réalité en quarantaine.
Chaque collège et chaque université disposent de nombreuses données, qui sont générées de façon détaillée au moment de l’inscription des étudiants, de l’enseignement aux étudiants, de l’embauche des professeurs et des employés et de la réalisation de recherches. Les établissements d’enseignement se concentrent surtout sur leurs fonds de données à l’interne, qui contribuent à la gestion de leurs activités. Ils s’intéressent également à leur contexte provincial en matière de données pour trois raisons : leur administration provinciale est un partenaire financier stable; les établissements agissent donc comme les membres d’un club dans chaque province; et, parallèlement, ils sont en concurrence à l’échelon provincial quant au taux d’inscription et aux revenus générés par les inscriptions.
En revanche, les provinces et les territoires accumulent une quantité importante de données sur leurs systèmes d’enseignement supérieur, étant donné que la Constitution tient chaque province et territoire (et non l’administration fédérale) responsable de son enseignement supérieur et que ce sont eux qui réalisent d’importants investissements publics de façon permanente. La plupart de leurs données proviennent des établissements situés à l’intérieur de leurs frontières.
Enfin, il y a la scène nationale, l’échelon parfait pour rassembler toutes les données en vue d’obtenir une vue d’ensemble. De plus, l’administration fédérale a des intérêts en jeu, car elle investit dans les projets de recherche, l’aide financière aux étudiants et le plan d’action en matière de compétences. Cependant, nous ne connaissons pas, avec exactitude, les faits les plus élémentaires. Combien d’étudiants sont inscrits au Canada? Quels sont les taux d’achèvement des collèges et des universités à l’échelle du pays? Quelles sont les provinces qui ont réussi à trouver un juste équilibre entre les objectifs contradictoires ayant trait à l’accès, à la qualité et à la productivité?
Qui peut combler ces lacunes statistiques sur le plan national?
Au sein de l’administration fédérale, un groupe de travail assidu de Statistique Canada procède à la création d’une base de données nationale sur l’enseignement supérieur. Toutefois, ce groupe est désavantagé, car il est fort éloigné du contexte de première ligne des établissements et du rôle de gérance des provinces. La sous-déclaration est de plus en plus répandue, les données sont souvent publiées trop tard pour s’avérer utiles sur le plan politique et les morceaux clés de la mosaïque de l’information sont manquants. Malgré ces défis, quelques bonnes idées voient le jour. Par exemple, en appariant les renseignements aux données fiscales fédérales, les enquêteurs fédéraux trouvent de nouveaux moyens d’établir des liens entre les diplômés et les résultats sur le marché du travail.
Qu’en est-il des établissements à l’échelle du Canada? De temps en temps, ils se réunissent pour rassembler quelques données nationales. Par exemple, il y a quatre ans, Statistique Canada a cessé de recueillir des données sur les professeurs universitaires, qui sont des données fondamentales pour comparer la productivité des établissements (p. ex., ratios professeur-étudiant) et pour orienter les négociations collectives (p. ex., données salariales comparables). L’Université Western a proposé de récréer la base de données et toutes les universités canadiennes ont été invitées à l’alimenter.
Néanmoins, l’adoption d’une approche pour tous les établissements ne constitue pas la solution nationale idéale. Les données touchant plusieurs établissements ont tendance à être exclusives et protégées. Par ailleurs, puisque toutes les universités ne voient pas l’utilité d’y prendre part, le portrait national et interprovincial demeure à nouveau incomplet, et la déclaration volontaire risque de manquer d’objectivité, en particulier en ce qui concerne les domaines de nature délicate tels que les négociations collectives.
On pourrait également recueillir des données nationales rigoureuses en misant sur les efforts conjoints des provinces et des territoires, qui n’ont pas montré un grand intérêt pour ce type de données par le passé. Toutefois, la situation change, car ils sont tous confrontés à une pression croissante pour instruire un plus grand nombre d’étudiants selon un seuil de qualité très élevé et avec moins de fonds. Ils sont donc obligés de réaliser de meilleurs investissements.
Chaque province et territoire a 1 chance sur 13 de trouver la meilleure solution d’investissement pour régler un élément du casse-tête de l’enseignement supérieur. Ainsi, il est donc plus bénéfique pour chacun de tirer des leçons de l’expérience des autres. Toutefois, afin d’élargir leur présence et d’assumer un rôle pour la gestion des données nationales, il sera nécessaire d’obtenir l’accord de 13 administrations, chroniquement évasives, et des fonds, eux aussi chroniquement difficiles à trouver.
Une autre solution serait que les provinces contribuent plus activement aux activités de Statistique Canada et qu’elles établissent des relations avec les trois parties intéressées, à savoir les établissements, l’administration provinciale ou territoriale et l’échelon fédéral. Par exemple, l’Ontario a réglé la question de longue date liée à la sous-déclaration au sein des collèges communautaires en leur exigeant en premier lieu de rendre des comptes à la province aux fins de financement (une mesure efficace pour les inciter à se conformer à cette exigence), puis de transmettre les données à Ottawa afin d’alimenter la base de données nationale.
Il est compliqué de favoriser une coopération entre 14 administrations à deux niveaux, mais cela arrive souvent. En effet, en collaboration avec Statistique Canada, le Conseil des ministres de l’Éducation (Canada) publie le rapport annuel Indicateurs de l’éducation au Canada. De plus, les 14 administrations, en collaboration avec les établissements de partout au Canada, ont trouvé il y a longtemps un moyen de financer et d’administrer conjointement et l’aide financière aux étudiants.
Les provinces et les territoires sont les principaux investisseurs publics en matière d’enseignement supérieur. Il leur incombe donc de diriger les initiatives visant à améliorer la situation ayant trait aux données nationales et de les libérer de leur état « en quarantaine ». Puisque l’enseignement supérieur s’inscrit de plus en plus dans une perspective nationale et mondiale, il n’est plus conseillé d’analyser la question uniquement d’un point de vue provincial ou territorial.
-Martin Hicks, Directeur des données et des statistiques