L’enseignement supérieur au Canada entre dans une nouvelle ère d’apprentissage « intégré au travail ». Un nombre sans cesse croissant d’étudiants veulent participer à des stages d’éducation coopérative ou autres ainsi qu’à des expériences en milieu de travail dans le cadre de leur programme d’études postsecondaires.
Pratique courante dans les collèges communautaires depuis plusieurs années, les universités emboîtent maintenant le pas et les décideurs les exhortent à en faire davantage. Dans son dernier budget, le gouvernement fédéral a réservé 73 millions de dollars pour l’établissement de partenariats d’apprentissage expérientiel. La première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne, a placé la barre plus haute que jamais en se donnant comme objectif de financer « plus de placements de telle sorte que chaque étudiant puisse compléter au moins une activité d’apprentissage par l’expérience avant de recevoir un diplôme d’études secondaires ou tout autre diplôme avant de terminer sa formation collégiale ou universitaire ».
Toutefois, pouvons-nous tenir pour acquis que les stages en milieu de travail sont toujours avantageux, peu importe les circonstances de l’étudiant ou la qualité de son stage? S’agit-il d’une bonne affaire pour toutes les parties concernées?
Les avantages possibles sont bien connus. Les étudiants acquièrent une expérience pratique qui peut les aider à se trouver un emploi décent dans un marché du travail où beaucoup d’emplois sont précaires. Les employeurs peuvent devenir plus concurrentiels en recrutant de nouveaux employés talentueux. Lorsque le modèle d’éducation coopérative fonctionne comme prévu, il favorise l’atteinte d’objectifs tant pédagogiques qu’économiques en ayant des retombées positives pour l’ensemble de la société. Cependant, il peut aussi mal tourner. Dans le cadre de notre étude de la réglementation de l’apprentissage intégré au travail, nous avons constaté que le modèle comporte un nombre surprenant de risques qui requièrent également notre attention.
Le statut juridique des étudiants s’embrouille lorsqu’ils sont des stagiaires. Il n’est pas toujours clair à qui revient la responsabilité de s’assurer qu’ils reçoivent la formation et que leurs conditions de travail soient justes et raisonnables. Dans la plupart des provinces, les placements dans le cadre d’un programme d’enseignement sont exemptés des lois régissant les normes du travail. Si certains étudiants reçoivent le salaire minimum ou plus, beaucoup d’autres ne sont pas rémunérés et les dispositions législatives provinciales ne l’exigent habituellement pas. Il existe très peu de statistiques claires, mais les gestionnaires des stages d’éducation coopérative signalent que les stages non rémunérés demeurent la norme, en particulier dans les professions à prédominance féminine. Cela soulève la question troublante de l’accès équitable aux stages coopératifs payés.
Les étudiants n’ont pas tous les moyens de travailler gratuitement pendant quatre mois. Plusieurs étudiants se trouvent un emploi pour être en mesure de payer leurs études ou de subvenir aux besoins de leur famille. S’il est habituellement possible d’adapter les heures de travail rémunérées en fonction d’un horaire de cours type, cela devient plus difficile dans le cas d’un stage coopératif. Les employeurs ne sont pas tous disposés ou aptes à accorder des congés à un employé pour qu’il puisse prendre part à un stage coopératif.
Cela place donc les étudiants devant un dilemme. Ils peuvent quitter leur emploi rémunéré pour effectuer un stage coopératif, même s’il n’est pas payé. Dans ce cas, ils devront renoncer au salaire qu’ils auraient reçu et ne seront pas admissibles à l’assurance-emploi. L’autre option consiste à essayer de garder l’emploi rémunéré en plus de prendre part au stage coopératif – une option plutôt épuisante.
S’ils ne reçoivent pas d’assurance-emploi, de bourses ou une autre forme d’aide financière pour participer à un apprentissage intégré au travail, les étudiants ne provenant pas de milieux aisés feraient peut-être mieux de conserver l’emploi qu’ils ont déjà.
En soi, les stages non rémunérés ne sont pas nécessairement injustes dans la mesure où l’étudiant obtient des crédits ainsi qu’une formation et du mentorat qui lui seront utiles. Cela suppose toutefois que les établissements d’enseignement et les employeurs travaillent en étroite collaboration afin de garantir aux étudiants une expérience de qualité supérieure. La surveillance et la supervision nécessitent des ressources, et nos recherches révèlent certains manques d’uniformité à ce chapitre.
Si plusieurs stages offrent des expériences formidables, d’autres rendent les étudiants vulnérables à diverses formes de harcèlement et de discrimination. Que le stage soit rémunéré ou non, les codes des droits de la personne doivent être respectés, mais le problème réside dans le déséquilibre marqué des pouvoirs. L’étudiant qui doit réussir son stage pour obtenir son diplôme ou qui ne veut pas risquer de perdre une recommandation ou une occasion d’emploi ultérieurement y pense à deux fois avant de semer le trouble.
La discrimination peut en outre empêcher certains étudiants d’accéder à des occasions d’apprentissage intégré au travail. Par exemple, les universités et collèges arrivent de mieux en mieux à adapter les salles de classe aux besoins des étudiants handicapés, mais ont beaucoup de difficultés à y parvenir dans les milieux de travail offrant des stages coopératifs.
Les demandes croissantes de vérification du casier judiciaire avant qu’un étudiant puisse participer à un stage coopératif constituent un autre problème. En dépit des lignes directrices relatives aux droits de la personne qui recommandent le contraire, certaines forces policières continuent de divulguer des renseignements au sujet de contacts avec la police qui n’ont pas abouti à des accusations ou condamnations, comme les échanges en vue de recueillir des renseignements identificatoires ou lorsque les policiers sont appelés sur les lieux pour intervenir dans un incident lié à la santé mentale ou un conflit familial. Les étudiants peuvent alors se voir refuser un stage même lorsque leur dossier ne contient aucune bonne raison justifiant un refus.
Nous ne soulevons pas ces problèmes dans le but de dénigrer l’apprentissage intégré au travail ou de dissuader qui que ce soit de l’offrir à plus grande échelle. Lorsqu’il est bien fait, il peut renforcer l’enseignement en classe et profiter tant aux étudiants qu’aux employeurs. Toutefois, notre étude montre bien qu’une mise en œuvre mûrement réfléchie s’impose, qu’il faut des ressources adéquates, que les droits et responsabilités juridiques de chacun doivent être beaucoup mieux compris et qu’une quelconque réforme juridique pour favoriser la qualité de ces programmes et leur accessibilité est peut-être de mise. Nous ne devons pas oublier les risques associés à l’apprentissage intégré au travail dans notre hâte pour l’offrir à plus grande échelle, ni présumer qu’il s’agit du bon choix pour tous les étudiants.
Le rapport des auteurs sur la réglementation de l’apprentissage intégré au travail a été publié par le Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur le 25 octobre.
Lisa Philipps enseigne à l’Osgoode Hall Law School de l’Université York. Joseph Turcotte vient d’obtenir son doctorat du programme conjoint en communication et culture de l’Université York-l’Université Ryerson. Leslie Nichols est titulaire d’un doctorat en études politiques de l’Université Ryerson.
Ce billet a d’abord été publié sur le blogue du Globe and Mail le 27 octobre 2016.
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