J’ai lu et entendu beaucoup de choses sur l’« écart de compétences » au Canada, en particulier la suggestion d’une sérieuse pénurie de gens possédant l’ensemble de compétences nécessaire pour occuper les emplois disponibles dans les actuels marchés du travail. Cette discussion est souvent émaillée de commentaires sur le décalage entre ce que les étudiants apprennent dans les programmes postsecondaires et les exigences de ces emplois.
Je dois admettre que cela me laisse perplexe. Il me semble qu’il y a plusieurs questions importantes qui sont abordées collectivement dans cette conversation, si bien que l’on ne sait pas trop quoi penser de ce qui semble souvent être des opinions, des preuves et des solutions proposées contradictoires. Cette confusion des enjeux rend également difficile la mise au point de solutions efficaces. Si l’école supérieure m’a appris une chose, c’est bien que la première étape de la résolution d’un problème est de s’assurer d’avoir formulé et posé la bonne question.
À mon sens, la question de l’écart de compétences renferme une discussion sur trois catégories d’emplois différentes.
La première est constituée des emplois dont l’ensemble requis de compétences est bien défini et compris, du fait que les professions ou corps de métiers eux mêmes les ont définies et qu’ils ont exigé qu’on les intègre dans les programmes postsecondaires et qu’on s’assure, au moyen d’un processus d’accréditation ou d’agrément, que ces compétences soient enseignées et apprises. Ces emplois comprennent des métiers — soudeur, tuyauteur, électricien, plombier, etc. — et des professions réglementées — infirmière, médecin, ingénieur, etc.
Nous savons quels établissements postsecondaires sont chargés de produire les travailleurs qui occupent ces emplois. Habituellement, il s’agit de collèges pour les gens de métier, d’écoles médicales pour les médecins, d’écoles d’ingénierie pour les ingénieurs, etc. Franchement, si nous n’avons pas suffisamment de ces travailleurs, nous n’avons qu’à accroître la capacité de production de tels travailleurs et nous alimenter aux bassins de candidats qui en résulteront, ce qui pourrait nécessiter du financement ciblé supplémentaire. Dans le cas des corps de métiers, nous pourrions avoir à dissiper, chez les étudiants, des réticences culturelles à embrasser ces professions. Et nous pourrions vouloir examiner dans quelle mesure les programmes de formation correspondants sont rationalisés et efficaces. Mais pour ces emplois, la solution à toute pénurie de travailleurs semble assez simple et le problème relativement facile à résoudre, en particulier si nous intervenons avant que se produise effectivement la pénurie (et, oui, je mesure bien les difficultés qu’il y a à prédire les futurs marchés du travail).
La deuxième catégorie d’emplois est celle qui porte le plus à confusion et suscite le plus de mécontentement. Il y a maints emplois dont les ensembles de connaissances et de compétences requis ne sont pas suffisamment ou adéquatement précisés. Par exemple, j’ai récemment lu le commentaire de quelqu’un qui se lamentait au sujet de la carence de personnes préparées au Canada pour occuper des emplois en « commerce international » (cette observation s’accompagnait des habituelles prédictions sur les conséquences fâcheuses de cette pénurie de gens qualifiés). Mais quelles sont au juste les connaissances, compétences et capacités que l’on requiert des candidats dans le secteur du commerce international? De la même façon, quelles sont les aptitudes requises des personnes qui travailleront dans le commerce de détail, au gouvernement, dans le secteur de la fabrication, au sein de petites entreprises ou dans diverses industries de services? Il va de soi que nous ne pourrons résoudre ce problème d’écart de compétences tant que nous n’aurons pas très clairement défini les connaissances et compétences que nécessitent ces divers emplois. C’est là un débat auquel les employeurs doivent présider. Et parler de catégories d’emplois ne suffit pas; nous devons préciser les compétences et aptitudes nécessaires, et pas simplement énumérer les titres de poste.
Une fois cela fait, il s’agira de déterminer si les diplômés des programmes postsecondaires possèdent les ensembles requis de connaissances et de compétences.
Habituellement, lorsqu’une industrie parle des compétences que commandent ces catégories d’emplois, elle reconnaît que les diplômés possèdent souvent la connaissance nécessaire de la discipline. Ce qui leur manquerait serait un ensemble de facultés d’apprentissage et d’habiletés cognitives générales, comme la pensée critique, l’aptitude à résoudre les problèmes, l’habileté à communiquer, la numératie, la capacité de travailler en équipe et l’aptitude à gérer son temps. La bonne nouvelle, c’est que les établissements sont maintenant plus nombreux à s’atteler au défi de déterminer si ces capacités et aptitudes générales d’apprentissage et intellectuelles (parfois appelées compétences essentielles d’employabilité ou compétences transférables) ont été acquises et à créer des titres de compétences ou des diplômes et attestations qui permettront de vérifier, pour l’étudiant comme pour l’employeur, que ces compétences sont bien là.
C’est le genre de correspondance entre emplois et éducation supérieure qui peut résoudre les défis de marché du travail avec lesquels nous croyons être aux prises. L’industrie est mieux à même de définir quels ensembles de connaissances et de compétences requiert tel ou tel emploi, tandis que les établissements d’enseignement postsecondaire sont mieux placés pour déterminer si le candidat possède effectivement ces ensembles de connaissances et de compétences.
Le troisième enjeu des emplois et compétences est plus abscons, mais il pourrait être le plus significatif quant à la structure et à la compétitivité futures de l’économie canadienne. C’est la question de savoir si notre système d’éducation produit des gens qui créeront des industries, des lieux de travail et des emplois nouveaux pour les autres. C’est là que nous commençons à nous pencher sur les programmes postsecondaires qui tentent de promouvoir la créativité, l’esprit d’entreprise et l’innovation. Il est difficile de répondre à la question de savoir comment favoriser l’entrepreneuriat et l’innovation chez les Canadiens et donc, vraisemblablement, d’accroître la productivité de l’économie du Canada. Il y a, d’un côté, les tenants de techniques pédagogiques ou de programmes spéciaux pour enseigner l’entreprenariat ou l’innovation — nombre d’établissements, en particulier des écoles commerciales, font l’expérience de nouveaux programmes et pratiques pour faciliter l’acquisition de ces habiletés — et, de l’autre, ceux qui estiment que ces aptitudes et attributs ne peuvent s’apprendre — ils sont simplement inscrits dans les gênes du candidat. J’ignore laquelle de ces vues est la bonne, mais je suis sûr que c’est un problème qualitativement différent des deux autres discussions sur la pénurie de compétences. Je sais aussi que nous pouvons expérimenter sur les façons d’enseigner l’entreprenariat et, en particulier, sur la façon dont nous pouvons évaluer l’efficacité de ces programmes. C’est la un problème important auquel on devrait consacrer une étude sérieuse et qui pourrait bien motiver de nombreux travaux de recherche.
Tempêter contre l’« écart de compétences » ne procède ni d’une question compliquée ni d’une question à laquelle on peut répondre facilement. En répartissant les composantes du défi lié à l’écart de compétences dans les catégories de problèmes discutées plus haut, il semble plus aisé de trouver des solutions, et la contribution que les établissements d’enseignement postsecondaire peuvent faire à ces solutions est plus claire.
Merci de votre attention.
-Harvey P. Weingarten, président-directeur général