Les diplômés de l’enseignement supérieur doivent acquérir les connaissances, les compétences et les dispositions nécessaires pour devenir des leaders et des intervenants à tous les niveaux de la société. Qu’est-ce qui empêche l’atteinte de ce résultat? On peut notamment blâmer les systèmes de notation que nous utilisons et qui contribuent aux difficultés éprouvées par des diplômés qui ne sont pas suffisamment préparés à la société mondialisée du XXIe siècle.
Nous proposons l’approche appelée apprentissage par le jeu (gameful learning) – fondée sur des observations de l’un des environnements d’apprentissage le plus durable et le plus naturel qui soit – celui du jeu. Il n’es pas question d’apprendre en faisant des jeux. À l’école, l’apprentissage est déjà une sorte de jeu, mais un jeu mal conçu. Notre but est de concevoir un meilleur système qui encourage la prise de risque, le défi et l’apprentissage en profondeur.
Une des caractéristiques d’un jeu bien conçu est que les joueurs s’y intéressent parce qu’il comporte des défis et non malgré cela. Nous observons souvent que les étudiants recherchent les cours qui leur permettront de conserver une moyenne pondérée cumulative élevée, plutôt que des expériences d’apprentissage exigeantes. Mais la vie n’est pas juste une question de succès. C’est une question de persévérance, de progrès et, souvent, de leçons apprises de situations qui ne se déroulent pas comme prévu. L’échec occasionnel est une bonne indication que l’on travaille à des problèmes difficiles et qui en valent la peine.
Une conception de cours reposant sur les mécanismes du jeu (gameful course design) commence par des buts d’apprentissage clairement énoncés et offre aux étudiants une gamme de possibilités et de parcours pour atteindre ces buts. Le cadre théorique sur lequel repose notre travail est la théorie de l’autodétermination, une théorie psychologique de la motivation qui met l’accent sur le soutien de la compétence, de l’autonomie et du sentiment d’appartenance. Un cadre de notation est formé par quatre éléments fondamentaux qui mettent l’accent sur le progrès, l’appui à de multiples cheminements possibles pour répondre aux différents besoins individuels, le soutien à l’exploration et à la prise de risques, et l’habilitation de ce que nous appelons les états de gain « non exclusifs ».
Plutôt que de commencer avec 100 points qu’ils peuvent perdre (scénario qui caractérise trop souvent les travaux de cours), les étudiants commencent à zéro, ou plus précisément avec les connaissances et les compétences qu’ils possèdent déjà, et travaillent à l’atteinte de leurs objectifs personnels – une approche visant à améliorer sa situation que l’on retrouve souvent dans les jeux.
Cette conception de cours reconnaît que tous n’apprennent pas de la même façon ou au même rythme, mais que cela ne signifie pas que les mêmes buts ne peuvent pas être atteints à la fin du cours. La conception de cours inspirée du jeu met l’accent sur le choix des travaux – permettant par exemple aux étudiants de présenter leurs travaux sous différentes formes ou d’essayer différents types de tâches ou de s’acquitter de différentes tâches ou évaluations selon un ordre différent. Un étudiant souffre peut-être d’anxiété liée aux tests, ce qui ne signifie pas qu’il ne comprend pas le contenu, mais qu’il ne donne pas un bon rendement en situation de test – en passant, une situation qu’il a peu de risque de rencontrer à l’extérieur de l’école. Les apprenants peuvent avoir besoin de délais et de soutiens différents pour atteindre les objectifs d’apprentissage que nous leur fixons.
Les cours fondés sur le jeu encouragent la prise de risques en donnant la « liberté d’échouer ». Pas d’échouer le cours! Mais quelque chose qui ne fonctionne pas au premier essai. Vous n’avez pas obtenu les résultats escomptés, le sujet était plus difficile de prévu, vous ne maîtrisez pas encore les outils requis pour accomplir la tâche. Alors, vous réessayez après avoir eu de la rétroaction. Ou encore, vous mettez de côté ce défi particulier pour essayer quelque chose de moins difficile, acquérant les compétences et l’expérience nécessaires pour venir à bout du défi original ou global. Trop souvent, la norme en matière d’enseignement supérieur est un examen de mi-session ou final, ou un travail dont l’enjeu est élevé. Nous avons lu des commentaires tels que le suivant affichés par des étudiants sur les médias sociaux : « Je n’ai besoin que de 176 % à l’examen final pour réussir ce cours! » Ce résultat étant hautement invraisemblable, la chose la plus évidente (voire logique) qu’un étudiant puisse faire est d’abandonner le cours et c’est ce que font plusieurs.
Nous entendons de nombreuses plaintes de nos collègues sur le « gonflement des notes » ou le manque de rigueur dans les travaux scolaires. Cependant, trop fréquemment, ces plaintes signifient que « trop d’étudiants obtiennent un A ». L’utilisation d’une courbe pour répartir les notes est une solution commune, mais qui n’a pas de sens. La courbe cache des renseignements significatifs sur ce que les étudiants apprennent. Si votre cours est suffisamment exigeant – parce que vous avez établi des objectifs d’apprentissage stimulants et des normes élevées pour les étudiants – qu’une majorité d’étudiants obtiennent un A devrait être une marque de distinction. Vous devez être un excellent professeur! C’est le cœur des modèles fondés sur la compétence, qui dépendent de la rigueur et de la transparence pour garantir que la note obtenue témoigne d’un apprentissage en profondeur. Dans les systèmes d’apprentissage par le jeu, c’est ce que nous appelons un « gain non exclusif ». Tous peuvent réussir et un système d’éducation bien conçu devrait appuyer tous les apprenants dans leur parcours vers la réussite.
Nous voyons l’apprentissage par le jeu comme une idée parmi une foule d’autres faisant l’objet de discussions au chapitre de l’enseignement supérieur et appuyées par les travaux du COQES. Ces idées – éducation axée sur les compétences, micro titres de compétences, dépassement des heures-crédits, analyse de l’apprentissage, apprentissage personnalisé – sont plus efficaces lorsqu’elles sont appliquées ensemble dans des systèmes intégrés. L’apprentissage ludique fonctionne extrêmement bien lorsque associé à ces nouvelles (souvent redécouvertes) idées en éducation.
Le but de l’apprentissage par le jeu n’est pas de « rendre l’apprentissage amusant », mais de mettre au défi et de mobiliser. Les étudiants doivent démontrer un apprentissage approfondi dans le cadre d’activités stimulantes jumelées à une évaluation rigoureuse. Les étudiants n’atteindront toutefois pas tous nos buts en suivant le même chemin. Nous faisons également la distinction entre cette approche et la « ludification » plus commune de l’éducation, qui souvent implique certains des éléments les plus superficiels du jeu, tels des points, des badges ou des classements. De tels éléments peuvent être employés dans une conception de cours reposant sur les mécanismes du jeu, mais le changement vraiment important a trait aux hypothèses qui sous-tendent le système d’évaluation et sa conception.
L’Université du Michigan a fait un important investissement dans l’apprentissage par le jeu et nous élaborons des outils d’appui à l’apprentissage ainsi que du matériel d’apprentissage professionnel pour les enseignants qui suivent les principes de la conception de cours reposant sur les mécanismes du jeu. Le point de départ de ce processus n’est pas la technologie, mais un changement d’attitude. Est-ce que vous ou vos étudiants en avez assez de « jouer » à l’école? Faisons en sorte le jeu soit plus intéressant, qu’il en vaille la peine. Nous y gagnerons tous.
Barry Fishman est professeur Arthur F. Thurnau et professeur en sciences de l’information et en éducation à l’Université du Michigan. Caitlin Holman est candidate au doctorat à l’École des sciences de l’information de l’Université du Michigan.
À notre avis, les blogueuses et blogueurs invités expriment leurs propres avis, et pas nécessairement ceux du COQES.