L’ancien domaine de compétence de nos collèges, c’est-à-dire concevoir et évaluer des programmes d’apprentissage en fonction d’un ensemble établi de compétences, prend de l’ampleur dans des contextes moins évidents. Il est de plus en plus admis que les fruits d’une éducation en arts libéraux ne sont pas reconnus par les diplômés ni présentés à d’éventuels employeurs et à la société en général. Les étudiants qui obtiennent un diplôme en histoire, comme cela fut mon cas il y a de nombreuses années, ne semblent pas être en mesure d’exprimer non seulement leur maîtrise du contenu ayant mené à ce diplôme, mais également la série de compétences, souvent désignées de « compétences générales » qu’ils ont acquises. Il s’agit habituellement d’aptitudes essentielles, comme la communication, l’analyse rationnelle, la pensée critique et la résolution de problèmes. Toutes ces compétences mises ensemble forment de bons citoyens et d’excellents employés.
C’est peut-être en raison de cet échec qu’une nouvelle rhétorique a pris naissance au sujet de l’incapacité des universités d’accorder des diplômes à des citoyens alphabétisés, compétents et prêts à « combler les lacunes en matière de compétences ». Ce discours se transforme rapidement en un débat opposant les collèges aux universités et aux programmes de formation pendant que nous nous plaignons de l’atonie persistante de notre économie et de son incapacité à se remettre des « derniers désagréments » de 2008.
Pourquoi, jusqu’à tout récemment, le secteur collégial était-il le seul à offrir des programmes axés sur les compétences? C’est l’endroit où les étudiants veulent acquérir, et où l’on s’attend à ce qu’ils acquièrent, un ensemble donné de compétences qui leur permettra d’occuper un emploi précis. Bien souvent, les résultats établis dans le secteur collégial comprennent non seulement du contenu pertinent, mais également l’acquisition de compétences génériques, comme la résolution de problèmes en équipe. La formule consistant à définir, enseigner et évaluer un ensemble de compétences associées à un emploi particulier a très bien fonctionné pour les collèges. Dans le cas des universités, toutefois, la forte résistance à ce modèle découle de la conviction selon laquelle le rôle de l’université est d’un ordre supérieur et que les membres du corps professoral guident l’apprentissage d’une façon unique et sans contrainte.
Qu’est-ce qui a donc changé?
Puisque j’ai étudié et enseigné le droit dans plusieurs facultés de droit au Canada, je sais que les programmes d’études fondés sur les compétences ne sont pas étrangers aux universités. Les barreaux provinciaux exigent que certaines normes relatives à la matière enseignée soient satisfaites afin que les diplômés d’une école donnée soient admissibles au barreau local. Les programmes d’études en santé, comme les soins infirmiers, la diététique ou la médecine, adoptent des modèles semblables. Cependant, devrions-nous suivre cette ligne de pensée pour l’éducation en arts libéraux et en sciences? Est-il raisonnable de s’attendre à ce qu’un étudiant obtenant un diplôme en biologie ait maîtrisé un ensemble précis de compétences en plus du contenu qu’il a appris? Certains obstacles possibles viennent à l’esprit.
Il ne fait aucun doute que l’Institut des comptables agréés de l’Ontario est en bonne position pour définir, avec la participation de ses membres, les compétences que les étudiantes et étudiants à un programme universitaire en comptabilité devraient acquérir. Comment pourrions-nous parvenir à un tel consensus au sujet des compétences que les diplômés en géographie devraient posséder?
Comment un engagement envers la liberté scolaire concorde-t-il avec l’imposition de compétences à l’échelle d’un programme ou d’un établissement d’enseignement? J’imagine déjà une série longue et pénible de réunions des sénats des universités avant que cette idée soit vraiment abandonnée.
Qui plus est, au moment où nous délaissons des termes comme objectifs d’apprentissage et les remplaçons par des expressions comme résultats d’apprentissage, pouvons-nous supposer qu’un instructeur peut garantir la réalisation des apprentissages s’il fournit les outils requis? Comment pouvons-nous rendre compte des résultats qui ne sont pas atteints en raison d’une capacité d’apprentissage insuffisante pour parvenir à la maîtrise de la matière? Dans certaines situations, le langage utilisé ou les résultats souhaités peuvent poser des difficultés.
De plus, comment mesurons-nous de façon valable les apprentissages dans des domaines qui ne sont pas naturellement démontrables? Si nous avons établi que l’une des compétences essentielles à acquérir est « le développement d’un point de vue mondial », comment décrirons-nous à quoi cette compétence ressemblera dans les divers programmes disciplinaires et comment concevrons-nous des instruments qui permettront de mesurer de façon précise son acquisition? Après avoir terminé mes études en hygiène dentaire, je serai ou non en mesure de détartrer correctement une dent. Évaluer ma capacité d’exercer un esprit critique après avoir obtenu mon diplôme en psychologie est, dans une certaine mesure, un processus tellement subjectif qu’il frôle l’illégitimité.
Cependant, les avantages d’une transition vers un modèle d’éducation universitaire axé sur les résultats l’emportent sur ces problèmes et d’autres préoccupations bien réelles. Les universités continuent de tirer profit des investissements importants des citoyens sous la forme d’impôts et de droits de scolarité versés à des établissements privés puisque les familles s’efforcent de se débrouiller avec moins afin que leurs enfants suivent des études.
Il nous incombe, en tant que membres du milieu universitaire, de faire en sorte que les étudiantes et étudiants diplômés soient en mesure d’expliquer à leurs amis, aux membres de leur famille et à d’éventuels employeurs les fruits de leur labeur. Oui, je suis titulaire d’un baccalauréat en histoire. Dans le cadre de mes études, j’ai acquis d’excellentes aptitudes en communication et en résolution de problèmes et je suis devenue un membre efficace au sein d’une équipe. Je suis capable de penser de façon stratégique et de gérer des situations de conflit opposant des valeurs sous-jacentes. Qui plus est, je sais qui a combattu pendant la guerre de 1812. Tout cela fait en sorte que je suis une citoyenne utile, une chef de file en devenir et une excellente candidate pour votre organisation.
Nous pourrons aider les étudiantes et étudiants à profiter pleinement de leur éducation postsecondaire que si nous formulons clairement les résultats souhaités, leur enseignons les concepts requis et mesurons ces résultats.
-Colleen M. Hanycz
Colleen M. Hanycz est directrice du collège universitaire Brescia, qui est affilié à l’Université Western.
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