La semaine dernière, j’ai examiné si l’expérience de la double cohorte en Ontario de 2003 pouvait offrir des leçons pour les années à venir. Si un grand nombre d’étudiants décident d’interrompre leurs études pendant un an en septembre et de s’inscrire plutôt en septembre 2021, on pourrait s’inspirer des processus de planification adoptés en 2003 pour gérer une hausse des inscriptions.
Malheureusement, le rétablissement de l’enseignement supérieur en Ontario en raison des circonstances actuelles risque de nécessiter plus de temps que quiconque le souhaiterait. On peut tirer certaines leçons sur la façon dont les choses peuvent mal tourner de la décennie la plus sombre de l’après-guerre, les années 1970.
On se souvient bien entendu des années 1960 comme des années de gloire, puisque c’était l’époque où l’on construisait de nouveaux campus et de nouveaux immeubles et offrait de nouveaux programmes et où il y avait une abondance d’occasions de devenir professeur occupant un poste menant à la permanence et où le gouvernement attribuait des fonds supplémentaires pour chaque nouvel étudiant. Les inscriptions à l’université ont augmenté de 70 % entre 1967 et 1971. Les collèges, qui en étaient encore à leurs premiers balbutiements, ont doublé leurs inscriptions au cours de la même période.
La fin des années 1960 était aussi des années d’excès. Les nouvelles universités avaient des plans ambitieux de croissance et s’évertuaient à offrir des programmes aussi complets que les universités établies de plus longue date. J. A. Corry, qui est par la suite devenu le grand directeur de l’Université Queen’s, a rappelé que « la ruée vers les études supérieures… ressemblait à une ruée vers l’or ». Des groupes d’étudiants ont critiqué ce qu’ils considéraient comme un enseignement indifférent et des institutions impersonnelles. En 1969, le gouvernement a nommé une commission chargée de recommander des moyens de mieux cibler le système d’enseignement postsecondaire.
1971 est l’année où la musique s’est arrêtée. Le nombre d’étudiants qui présentaient une demande d’admission cet automne a plafonné dans certaines universités et diminué dans d’autres, ce qui a déconcerté les experts. Un nombre anormalement élevé d’étudiants inscrits auparavant aux études supérieures ne sont pas revenus. Personne ne savait s’il s’agissait d’un événement unique ou d’un changement à long terme.
Il s’est avéré que les inscriptions au premier cycle universitaire ont stagné de 1971 à 1973, puis ont augmenté de 1974 à 1976, puis ont de nouveau stagné pendant le restant de la décennie. Les inscriptions aux collèges affichaient une tendance similaire. L’idée selon laquelle l’enseignement supérieur était gage d’une bonne carrière a cessé de se répandre. Les préposés des stations-service étaient les baristas de leur génération.
La raison est que l’économie a cessé de croître en 1970, et qu’elle s’est étendue par à-coups tout au long de la décennie. Il y a eu de graves récessions en 1973-1974 et 1979-1980. Les employeurs ne pouvaient absorber tous les baby-boomers, même ceux qui avaient fait des études supérieures.
Les étudiants ont cessé de croire aux avantages de l’enseignement supérieur, tout comme le gouvernement. Le premier ministre William Davis a déclaré à un journaliste en 1972 que le coût élevé de l’enseignement supérieur, l’activisme étudiant et la pénurie d’emplois pour certains diplômés avaient réduit le soutien public à l’enseignement supérieur. Les conséquences politiques furent graves :
- Face à un ralentissement imprévu des revenus et en raison de l’obligation de financer le nouveau programme de l’Assurance-santé, le gouvernement a réduit le financement des universités et des collèges en termes réels. (Cette baisse a été quelque peu camouflée par des taux d’inflation annuels qui ont atteint en moyenne 8 % au cours de la décennie.)
- Craignant la colère des jeunes électeurs découragés, le gouvernement a gelé les frais de scolarité pendant quatre ans.
- L’effet net a été que le total des revenus d’exploitation des universités (provenant des subventions gouvernementales, des droits de scolarité et des droits par étudiant, mesurés en dollars constants) a diminué de 23 % entre 1970 et 1982. Dans les collèges, la baisse a été de plus de 30 %.
- En 1972, le gouvernement a imposé un moratoire sur les nouveaux projets de construction, qui est resté en vigueur jusqu’au milieu des années 1980.
- Le gouvernement a cessé d’approuver les propositions des universités pour de nouveaux programmes d’études supérieures et programmes professionnels.
- À la fin de la décennie, le Conseil ontarien des affaires universitaires (l’un des prédécesseurs du COQES) et le Conseil des universités de l’Ontario exhortaient le gouvernement à accroître les fonds ou à réduire la portée du mandat des universités. Un comité dirigé par le sous-ministre a recommandé que, si des fonds supplémentaires n’étaient pas disponibles, certaines universités soient fermées.
Ce n’était pas l’âge des ténèbres, mais cela s’y rapprochait plus que quiconque aurait aimé.
Personne ne sait l’effet qu’auront les circonstances actuelles sur le nombre des inscriptions : les effets pourraient se faire ressentir pendant un an, une décennie ou peut-être pas du tout. Cela était également vrai en 1971. Nous pouvons tirer quelques leçons de l’expérience des années 1970.
En premier lieu : Il faut éviter que les jeunes cessent de croire aux études supérieures. Les établissements d’enseignement supérieur et le gouvernement devraient continuer à unir leurs forces pour s’assurer que les étudiants qui font des études supérieures – quel que soit leur nombre – vivent la meilleure expérience possible. Il s’agit notamment de s’assurer que les étudiants obtiennent une juste valeur pour leur argent, de garder à l’esprit les étudiants qui sont le moins en mesure de s’aider eux-mêmes et de collaborer avec les employeurs pour maintenir l’apprentissage intégré au travail.
En deuxième lieu : Il faut éviter que la situation actuelle rompe les relations entre les institutions et le gouvernement. Il a fallu beaucoup de temps pour bâtir ces liens. Les prochaines années seront certainement marquées par des déceptions financières qui pourraient facilement conduire à un échange sans fin de blâme et de récriminations. Personne n’est sorti vainqueur de cette guerre dans les années 1970.
Après les années 1970, il a fallu un certain temps pour que les étudiants retrouvent leur amour pour l’enseignement supérieur. Et le gouvernement a mis beaucoup plus de temps à adopter sans réserve l’enseignement supérieur comme moteur du bien-être économique et social de l’Ontario. Si nous répétons accidentellement les erreurs des années 1970, les conséquences pourraient durer très longtemps.
David Trick est président-directeur général par intérim du Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur