Cette semaine, le Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur (COQES) a publié le rapport d’une étude exhaustive des modèles de financement fondé sur le résultat utilisés dans les établissements postsecondaires et de leur efficacité [lien]. Selon ce type de financement, le montant des fonds accordés aux établissements repose, en partie ou en totalité, sur leur rendement, c’est à dire la réalisation d’objectifs ou de résultats déterminés à l’avance (j’utilise les termes « financement fondé sur le résultat » et « financement fondé sur le rendement » de façon interchangeable). Voici un lien qui mène à un résumé (en anglais) particulièrement intéressant (et bref) des régimes de financement fondé sur le résultat.
Le rapport du COQES présente une synthèse d’une série de conclusions provenant d’une documentation de plus en plus abondante sur le sujet. La conclusion qui ressort : ce modèle de financement ne remporte pas le même succès partout. Cela n’a peut être rien d’étonnant, comme le soulignent les auteurs du rapport : d’abord, cette façon de faire étant relativement jeune, il existe peu de données pour en faire l’évaluation; ensuite, les modèles de financement présentés comme « fondés sur le rendement » peuvent être très différents les uns des autres. Ceci dit, la documentation qui existe et notre rapport font ressortir quelques éléments, comme la nécessité de différencier les établissements, qui semblent accroître l’efficacité de ce type de financement.
Certains pourraient se servir de l’absence d’une abondance de données probantes pour soutenir que le financement fondé sur le rendement ne fonctionne pas dans le milieu de l’enseignement supérieur. Ils auraient complètement tort.
Comme je suis censé me baser sur des données, d’où me vient ma certitude que le financement fondé sur le rendement fonctionne? Simple : l’efficacité de ce modèle repose sur la nature humaine et la théorie fondamentale du comportement.
Vous vous rappellerez peut être du livre J’ai tout appris quand j’étais petit. Moi, j’ai tout appris ce que je dois savoir au sujet du comportement des universités dans un cours d’introduction à la psychologie, où on vous enseigne les principes et les processus de base de tout changement de comportement. Ces principes et processus — comme la motivation, le renforcement, la punition et la récompense — sont les « lois » de la physique des sciences sociales. Et surtout, mon expérience de la sphère de l’enseignement supérieur m’a appris que ces principes et processus, quand ils sont bien compris et bien mis en application, sont des moyens efficaces d’obtenir les changements souhaités dans le comportement des établissements, des départements, des administrateurs et des corps enseignants du niveau postsecondaire.
Quels principes du changement du comportement s’appliquent à la conception de formules efficaces de financement fondé sur le résultat?
Premièrement, celui de la motivation. L’apprentissage de tout nouveau comportement demande motivation. Il est difficile, voire impossible, de changer un comportement sans motivation. Dans son ouvrage bien connu, Leading Change, John Kotter nous dit que quand on veut provoquer un changement, la première chose à faire est de « créer un sentiment d’urgence ». Chez le rat, le manque de nourriture suscitera à un certain moment une motivation et un sentiment d’urgence suffisants pour le pousser à trouver son chemin dans un labyrinthe. Le manque d’argent (si on est sur le point de ne plus pouvoir verser les salaires des employés par exemple) peut être un facteur de motivation puissant pour obtenir un changement chez les établissements postsecondaires. En l’absence de ce sentiment d’urgence, il n’y a peut être aucune formule de financement fondé sur le résultat, quelque ingénieuse qu’elle soit, qui puisse avoir une influence sur les établissements.
Deuxièmement, dans toute démarche de changement de comportement, il est essentiel de savoir quel comportement on veut obtenir (ou façonner). Peu importe le degré de motivation du rat, il n’apprendra pas à pousser une barre, à trouver son chemin dans un labyrinthe ou à se tenir sur la tête si les récompenses sont dissociées du comportement souhaité. Ainsi, pour qu’une formule de financement fondé sur le résultat soit efficace, ses concepteurs doivent exposer clairement les résultats recherchés (qui ne seront pas trop nombreux) et se montrer ensuite suffisamment disciplinés pour récompenser systématiquement uniquement les comportements souhaités ou les comportements qui constituent un progrès vers le résultat attendu. Il pourrait s’agir, par exemple, d’une augmentation des effectifs, des travaux de recherche, de l’incidence économique ou du nombre d’établissements de calibre mondial. Il y aura problème si la liste de résultats souhaités est trop longue (surtout si certains de ces résultats sont incompatibles) ou si les gouvernements commencent à renforcer d’autres comportements lorsque de nouvelles situations se présentent (de nouveaux facteurs de nature politique par exemple). Une liste de résultats visés claire et brève est un élément préalable nécessaire à la conception d’une formule efficace de financement fondé sur le rendement.
Troisièmement, les renforçateurs doivent être assez importants pour induire et solidifier le changement de comportement voulu. Un financement supplémentaire de 1 % ou 2 % dans une enveloppe de rendement indépendante n’est peut être pas suffisant pour amener un changement. C’est pourquoi les formules de financement fondé sur le résultat les plus efficaces sont celles qui jouent sur une part considérable du financement d’un établissement.
Quatrièmement, le renforçateur doit être utilisé de manière à faire en sorte que le changement de comportement puisse mener au résultat souhaité. Prenons l’exemple d’un gouvernement qui voudrait qu’une nouvelle formule de financement mène à une amélioration de la qualité de l’expérience d’apprentissage en classe. Il pourrait envisager d’augmenter le montant accordé à l’établissement si les indices de satisfaction des étudiants augmentent (faisons abstraction pour le moment de la question de savoir si la satisfaction des étudiants constitue un indicateur valable de la qualité de l’expérience d’apprentissage). Ce choix ne serait peut être pas efficace parce que le renforçateur, les fonds supplémentaires, n’aurait pas nécessairement d’incidence sur le sort (ou le salaire, les locaux de recherche, etc.) des professeurs au niveau individuel, alors que c’est leur comportement à eux qui doit changer pour améliorer l’expérience d’apprentissage en classe, puisque ce sont eux, et non les administrateurs, qui donnent les cours. Je pense qu’on accorde trop peu d’attention à la question de la technique du comportement. La plupart des gens supposent simplement que si on impose une condition à un établissement, ceux et celles qui y travaillent s’adapteront en conséquence, ce qui, bien souvent, n’est pas le cas.
Il est facile de concevoir une formule de financement fondé sur le rendement qui n’a pas vraiment de chance de fonctionner; on ne s’étonnera pas quand une telle formule ne mène pas aux résultats souhaités. Par contre, les principes fondamentaux du comportement humain veulent qu’une formule bien pensée fonctionne.
Dans quelle mesure l’Ontario est elle prête à l’utilisation d’une formule de financement fondé sur le résultat? Voilà la question que j’aborderai dans la deuxième partie de ce blogue. À ne pas manquer!
Merci d’avoir pris le temps de lire ce texte.
-Harvey P. Weingarten, Ph.D. (en psychologie, au cas où vous ne l’auriez pas deviné)