La fin de l’été marque le retour à l’école de plus d’un demi-million d’élèves dans les collèges publics et les universités de l’Ontario. Ces derniers consacrent habituellement à leurs études de deux à cinq ans ainsi que des milliers de dollars pour couvrir tous les frais, allant des droits de scolarité à la technologie. Pour sa part, le gouvernement de l’Ontario investit plus de 5,5 milliards de dollars dans les activités de l’enseignement postsecondaire public.
Étant donné l’ampleur des fonds publics et privés déboursés ici, nous devrions savoir si les élèves de niveau postsecondaire en Ontario acquièrent les connaissances et les aptitudes nécessaires à la réussite dans leur vie personnelle et professionnelle. Hélas, ce point nous échappe parce que ni le système d’enseignement postsecondaire, ni les établissements qui en font partie ne mesurent ces aptitudes.
En fait, ce n’est pas que nous omettions de mesurer. Les relevés de notes regorgent de mesures quant à la connaissance des dates, des concepts ou des formules propres à chaque discipline. Il s’agit habituellement de ce que les professeurs enseignent, de ce qu’ils évaluent, et de ce qui donne droit par la suite aux titres de compétences. Or, les études postsecondaires ne se limitent pas aux connaissances, particulièrement dans un monde où l’accessibilité à l’information n’est entravée que par la durée utile de celle-ci.
Maintenant, mesurons-nous ce qui est important? Nous attendons des diplômés de niveau postsecondaire qu’ils sachent bien lire, écrire et calculer, mais des rapports parus récemment ou à paraître du Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur (COQES) révèlent que nous n’évaluons ni la littératie, ni la numératie de base chez nos élèves de niveau postsecondaire, et ce, ni au début de leurs études, ni à l’obtention de leur diplôme. Étant donné que les niveaux appropriés de littératie et de numératie comptent parmi les résultats fondamentaux de l’enseignement postsecondaire, il y a lieu que les collèges et universités évaluent de telles aptitudes chez tous leurs élèves dans le contexte d’une évaluation exhaustive des résultats d’apprentissage souhaités.
Nous attendons également des diplômés de niveau postsecondaire qu’ils aient acquis des aptitudes en pensée critique et en résolution de problèmes. Nombreux sont ceux qui, à tort, affirment haut et fort que le simple achèvement d’un programme de niveau postsecondaire atteste l’acquisition de ces aptitudes. Hormis ces affirmations sans fondement, les recherches relatives à l’enseignement supérieur portent de plus en plus sur la mesure de telles aptitudes. En collaboration avec un consortium de collèges (Durham, Humber et George Brown) et d’universités (Toronto, Guelph et Queen’s) en Ontario, le COQES met au point des mesures fiables et valides de la pensée critique chez les élèves qui fréquentent ces établissements. L’échelonnement des résultats obtenus serait possible mais, pour ce faire, le système d’enseignement postsecondaire public en Ontario devrait procéder beaucoup plus activement à la mesure systématique des aptitudes cognitives. De cette façon, celui ci serait en position favorable pour figurer parmi les meilleurs au monde.
Viennent ensuite les aptitudes qui permettraient de prédire avec certitude la réussite en milieu professionnel : ce sont ces aptitudes mêmes qui, d’après les employeurs, font le plus défaut chez les employés potentiels. Les attributs comportementaux que sont la détermination, la persévérance, la résilience, la créativité et l’entrepreneuriat sont également en grande partie inexplorés dans l’évaluation de l’enseignement supérieur. À titre d’exemple, les recherches du COQES font état d’un foisonnement de programmes collégiaux et universitaires qui prétendent enseigner l’entrepreneuriat; toutefois, aucun de ces programmes ou presque ne permet de mesurer concrètement si les élèves ont acquis des aptitudes entrepreneuriales ou s’ils sont davantage portés à les manifester en milieu de travail, une fois leurs études terminées. Les données probantes à ce chapitre n’existent tout simplement pas, comme en témoigne une étude menée récemment aux États-Unis par l’organisation Gallup, selon laquelle 85 % des administrateurs universitaires mais seulement 15 % des employeurs sont d’avis que les titulaires de grade ont acquis les aptitudes et compétences nécessaires pour réussir sur le marché du travail. Tout porte à croire qu’une telle dichotomie existe également au Canada.
Bien que la gamme des connaissances et aptitudes à acquérir par les élèves durant leurs études postsecondaires fasse l’objet d’un fort consensus, notre ferme volonté en matière d’évaluation ne suffit pas. Nous devons rehausser notre capacité à mesurer si ces aptitudes et connaissances sont réellement enseignées et assimilées dans les collèges et universités de l’Ontario, non pas à des fins de classement mais plutôt en tant que processus d’amélioration. Il y a également lieu de faire progresser la recherche pour en arriver à des outils de mesure utiles, là où ceux ci font défaut.
Au sein du système d’enseignement postsecondaire public, la qualité de l’enseignement est d’une importance telle pour l’avenir du Canada qu’elle ne saurait être débattue au moyen d’anecdotes contradictoires. Nous avons besoin de données probantes à ce chapitre et, pour les obtenir, il nous faut d’abord rehausser notre capacité à mesurer l’apprentissage de nos élèves, de même que les aptitudes acquises par ces derniers durant leurs études postsecondaires.
Harvey P. Weingarten est président-directeur général du Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur (COQES). Le présent billet est paru à l’origine dans The Globe and Mail.