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Harvey P. Weingarten – Suggestions pour une meilleure gestion du rendement du financement de l’enseignement postsecondaire

Aujourd’hui, le Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur (COQES) a publié un important rapport d’évaluation sur les résultats des investissements appréciables consentis par le gouvernement fédéral et certains gouvernements provinciaux à l’enseignement aux cycles supérieurs. Ce rapport – Intentions et résultats associés aux investissements gouvernementaux dans l’enseignement aux cycles supérieurs pendant une decennia – s’inscrit dans une série de rapports que nous avons publiés sur l’enseignement aux niveaux supérieurs. Les rapports précédents ne concernaient que l’Ontario. Oeuvre de Fred L. Hall, ancien doyen des études supérieures à l’Université McMaster et à l’Université de Calgary, et de Hillary Arnold, chercheuse au COQES, le présent rapport est une publication cadre qui élargit les analyses à l’ensemble du Canada.

Contrairement à la fameuse bande dessinée du New Yorker où deux personnes discutent d’un film que ni un ni l’autre n’ont vu mais dont les deux ont lu des critiques, j’ai lu le rapport en entier : il est long, détaillé et aussi exhaustif que l’autorisent les données. Il n’est pas de lecture aisée et je n’en ferai pas dès maintenant la critique. Cependant, j’ai dégagé de ma lecture plusieurs grandes conclusions à propos de la façon dont les gouvernements canadiens investissent dans les études supérieures et dont ils font le suivi des retombées de ces investissements publics.

D’abord, les investissements dans l’enseignement aux cycles supérieurs au Canada ont été appréciables au cours de la dernière décennie. Depuis 2003, le gouvernement fédéral a procédé à des investissements progressifs (en sus de ce qu’il investissait en 2002) de 806 M$ dans les études supérieures chez les universités canadiennes. Collectivement, les provinces ont effectué des investissements progressifs additionnels de 1,7 G$. Et il ne s’agit que des fonds ciblant spécifiquement les études supérieures consentis par ces gouvernements. Nous sommes en droit de penser que les universités ont redirigé des fonds additionnels vers les études supérieures moyennant des bourses d’études internes et à même des contributions philanthropiques.

Ces investissements sont liés à une augmentation des inscriptions aux cycles supérieurs. Il ne faut pas s’étonner que les augmentations les plus appréciables se soient produites dans les universités canadiennes à prédominance de recherche et dans les provinces qui ont investi davantage dans l’élargissement de l’enseignement aux cycles supérieurs. Or, comme le signalent les auteurs, il résulte de la trajectoire positive de l’expansion des études de cycles supérieurs, constatée avant 2003, qu’on ne sait trop si cette hausse des inscriptions aux études supérieures est directement attribuable à la majoration des investissements.
Donc, si l’un des résultats souhaités était davantage de diplômés, les données laissent entendre que c’est chose faite.

Or, on peut supposer que cet investissement appréciable n’avait pas pour but seul but que d’engendrer une simple « hausse ». Par exemple, l’augmentation des investissements visait-elle à relever la qualité de la cohorte des étudiants canadiens des cycles supérieurs? Devait-elle accroître le nombre de diplômés de programmes et de domaines spécifiques susceptibles de favoriser l’innovation, l’entrepreneuriat ou les industries les plus pertinentes pour l’économie du Canada? Cet investissement devait-il faciliter et améliorer le transfert de technologies et de connaissances entre les universités et le secteur privé? Devait-il améliorer l’employabilité des diplômés? Devait-il réduire le temps mis par les étudiants à obtenir leurs diplômes ou accroître la proportion du nombre d’étudiants entrants qui obtiennent leur diplôme? La question que l’on se pose : Si tels étaient les résultats attendus, les a-t-on obtenus?

Le problème – et c’est sur ce plan que le rapport est révélateur et troublant – est que nous ignorons les réponses à ces questions. Pourquoi? Parce que comme le signalent les auteurs : « Malgré nos efforts pour réunir des données, avec la coopération de divers organismes et gouvernements, et malgré une analyse détaillée, nous ne pouvons relever qu’un nombre très limité de résultats à la suite de ces importants investissements. Dans certains cas, il était difficile de déterminer exactement quels étaient les buts visés. » Bref, nous n’avons pas toujours exprimé clairement ce que nous entendions récolter de nos investissements (hormis, peut-être, d’en obtenir « plus ») et même quand des intentions étaient énoncées, nous ne les avons pas exprimées de façon à ce que la mesure de l’atteinte des objectifs soit claire ou évidente.

L’un des principes d’une bonne gestion est d’évaluer le succès ou les résultats de tout programme que l’on lance. Il est donc déconcertant de penser que nous puissions investir des fonds publics appréciables et lancer des programmes à long terme que nous estimons importants sans les concevoir de façon à ce que nous puissions en mesurer correctement le rendement et les réalisations. Un de mes collègues, un cynique, fait observer que, parfois, cette ambiguïté est voulue. Ce collègue souligne la difficulté que pose le lancement de tous les programmes gouvernementaux et il laisse entendre que « l’ambiguïté facilite l’obtention des approbations. » C’est peut-être vrai. Mais ce sont l’ambiguïté des résultats souhaités et l’imprécision des indicateurs de mesure du rendement qui rendent difficiles l’évaluation et la reddition de comptes.

S’en tenir à la critique n’est pas chose utile. Afin d’emprunter une approche constructive, je propose les suggestions suivantes à considérer quand, dans l’avenir, nous ferons des investissements importants dans l’enseignement aux cycles supérieurs ou dans d’autres secteurs publics.

Premièrement, au moment où un investissement est fait, l’investisseur (le gouvernement) devrait préciser le but de l’investissement, les résultats attendus et les critères à utiliser pour évaluer les progrès.

Deuxièmement, un certain pourcentage (disons 3 %) de tout investissement public devrait être affecté au suivi et à l’évaluation des résultats de l’investissement. Il faudrait imposer la production de rapports d’avancement périodiques et la tenue d’une évaluation approfondie du rendement à intervalles pertinents. Au moment de l’investissement, l’investisseur devrait identifier la personne chargée de mener ces évaluations.

Troisièmement, le principe normatif devrait être que les établissements publics, comme les collèges et les universités, devraient être tenus de divulguer les données qu’elles compilent à propos des programmes et projets financés à même des fonds publics.

Il ne s’agit pas de recommandations stratégiques très profondes. Il s’agit plutôt de bonnes techniques de gestion du rendement. L’attrait d’une bonne gestion du rendement est que, souvent, elle engendre une réalisation plus réussie des résultats souhaités et des buts visés. D’aucuns pourraient même penser qu’une évaluation plus rigoureuse du rendement et une plus grande divulgation de ces évaluations pourraient se traduire par un soutien encore plus important de la population à l’égard de l’éducation postsecondaire publique.

Merci d’avoir pris le temps de lire ce texte.

-Harvey P. Weingarten

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