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Harvey P. Weingarten – Une décennie de changements : point de vue de l’extérieur

Réflexions sur le « rapport Rae », après 10 ans et quelques milliards de dollars

Harvey P. Weingarten
Harvey P. Weingarten

Harvey P. Weingarten, président et chef de la direction
Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur

Nous sommes le 7 février 2005. En tant que recteur de l’Université de Calgary, je ne prête pas particulièrement attention à la divulgation du rapport Rae. Les recteurs des universités ont tendance à se pencher sur les enjeux liés à leur province d’attache et au gouvernement fédéral. Pourquoi? Parce que l’accroissement des ressources est le point qu’ils examinent le plus, et que les développements à ce chapitre en Ontario ne comporteraient pas de grandes répercussions sur le financement de l’Université de Calgary. Quoi qu’il en soit, l’Alberta s’apprêtait tout juste à l’époque à consentir des investissements considérables à ses établissements d’enseignement postsecondaires, et ma priorité consistait alors à participer à la gestion et à l’optimisation de la part qu’obtiendrait l’Université de Calgary.

Je suis entré au service du Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur (COQES) en juillet 2010; c’est alors que je me suis de nouveau tenu au courant du système d’éducation postsecondaire de l’Ontario ainsi que du rapport Rae, cinq ans après sa divulgation et sa mise en œuvre. Dès lors, plusieurs choses à propos de l’éducation postsecondaire en Ontario m’ont frappé comparativement à 2001, année où j’étais doyen de l’Université MacMaster avant de quitter ce système.

Premièrement, les inscriptions aux collèges et universités de l’Ontario avaient monté en flèche, bien au‑delà des attentes, et ce, malgré l’importance accordée à l’accès dans le rapport Rae. La capacité du système de l’Ontario de faire face à cette croissance a révélé une souplesse et un potentiel extraordinaires, et les chiffres ont surpassé de loin les prévisions de future croissance probable. (Dommage que l’exercice actuel de planification des grands projets d’immobilisations n’ait pas eu lieu à cette époque-là.) De plus, cette croissance phénoménale a révélé et renforcé le fait que les établissements d’enseignement supérieur donnent magnifiquement suite aux incitatifs, en particulier lorsque ceux‑ci consistent en des fonds supplémentaires. Après la divulgation du rapport Rae, les fonds supplémentaires ont résulté de la croissance et – ô surprise – la croissance des établissements s’est révélée beaucoup plus marquée que ce qui avait été imaginé, envisagé ou prévu. Voilà une importante leçon qui ressort, bien involontairement à mon avis, du rapport Rae : lorsqu’un gouvernement sait ce qu’il veut et qu’il conçoit des incitatifs appropriés, les établissements obtiennent des résultats rapides et convaincants.

Deuxièmement, ce qui fut particulièrement impressionnant dans le cadre du programme de croissance, c’est la hausse des inscriptions aux programmes d’études supérieures. Une fois de plus, les incitatifs de financement ont joué un rôle clé relativement à ce résultat, comme en témoignent les rapports du COQES parus en 2011 et 2013.

Troisièmement, hormis la croissance, peu de changements avaient touché la dynamique fondamentale du système d’éducation postsecondaire de l’Ontario depuis 2001, notamment par rapport à ce qui se passait dans les autres provinces. Le gouvernement traitait encore les universités comme si elles constituaient des royaumes indépendants; en Ontario, le respect de l’autonomie des établissements était nettement supérieur par comparaison avec de nombreuses autres provinces au Canada.

Par contre, en dépit de quelques petites incursions dans le concept des instituts de technologie et d’apprentissage appliqué, les collèges étaient très réglementés et demeuraient régis par des politiques conçues au milieu des années 1960, époque où le réseau des collèges a été mis au point en Ontario. Dans d’autres provinces (et pays), la conception du système d’éducation postsecondaire faisait l’objet d’expériences plus poussées – un nombre supérieur de grades accordés dans les collèges; la conversion de collèges en des universités; l’attention accrue prêtée aux systèmes de transfert de crédits – passant dans de nombreux cas par l’instauration d’une politique claire de différenciation marquée des établissements. En fait, après la divulgation du rapport Rae, le secteur universitaire de l’Ontario est devenu davantage homogène. En 2001, seule une poignée d’universités de l’Ontario s’investissaient à fond dans les études doctorales et la recherche fondamentale. Neuf ans plus tard, elles étaient nettement plus nombreuses à mettre sur pied des programmes d’études doctorales et à étaler des ressources en vue d’un accroissement de l’appui à une infrastructure de recherche élargie.

Enfin, ce qui était le plus marquant, c’était l’absence manifeste de planification exhaustive quant aux problèmes évidents qui se manifesteraient à la suite de la divulgation du rapport Rae. Parmi ceux-ci, il y avait le problème clé du moyen à employer pour composer avec un amoindrissement de la qualité, lequel se produit lorsqu’un système croît aussi rapidement que celui de l’Ontario. De plus, la réalité allait nous rattraper : le niveau de financement consenti par le gouvernement pour mettre en œuvre les recommandations du rapport Rae pendant toute la durée de l’initiative Vers des résultats supérieurs ne pouvait être maintenu. Certains pouvaient croire que ni la croissance des inscriptions, ni le niveau de financement gouvernemental accru qui en résulte ne fléchiraient; or, tel n’est jamais le cas. L’Ontario ne suit peut‑être pas des cycles d’expansion et de ralentissement aussi prononcés que ceux de l’Alberta, mais il existe un principe fondamental en lien avec le financement du secteur public : aux périodes de prospérité succèdent les périodes de crise. Voilà pourquoi il faut, à l’exemple de Joseph dans l’Ancien Testament, prévoir le ralentissement au cours de l’expansion.

En juillet 2010, la dynamique de l’éducation postsecondaire mettait en évidence l’occasion pour le COQES d’apporter une contribution utile s’apparentant, selon moi, à ce que Bob Rae avait prévu lorsqu’il a recommandé l’instauration d’un organisme comme le nôtre. De façon précise, conformément à notre mandat prescrit par la loi, nous allions nous livrer à des réflexions approfondies, faire des recherches et effectuer des analyses en vue de fournir les meilleurs conseils factuels quant à l’amélioration de l’enseignement postsecondaire en Ontario, au fur et à mesure que surviendraient les problèmes mis en relief dans le rapport Rae, ou apparus après la mise en œuvre initiale de celui-ci.

Voilà ce que nous continuons de faire. Par exemple, après la divulgation du rapport Rae, l’Ontario a excellé relativement à la hausse des inscriptions de même qu’à la croissance des taux de participation et d’obtention du diplôme. Cependant, tous les segments de la société ontarienne ne bénéficiaient pas d’un accès équitable au système d’enseignement postsecondaire. Par conséquent, nos thèmes de recherche sont passés de l’accès au sens large aux moyens par lesquels l’Ontario pourrait améliorer l’accès des groupes actuellement sous-représentés.

Rae a insisté sur le besoin de tendre vers la qualité mais, à l’exemple d’un bon nombre, il avait peine à comprendre ce qu’elle signifie dans l’éducation postsecondaire, en quoi elle pourrait être mesurée, de même que le rôle du gouvernement dans le programme en la matière. Voilà exactement les points de mire d’une grande partie de nos projets de recherche sur les résultats de l’apprentissage. Nous élargissons la réflexion sur cet enjeu pour chercher à savoir si les étudiants de l’Ontario possèdent, après l’obtention de leur diplôme, les connaissances et compétences leur permettant d’optimiser leur réussite sur les plans personnel et professionnel et, si tel n’est pas le cas, les moyens par lesquels rehausser l’enseignement et l’apprentissage.

Finalement, le COQES consacre un temps considérable à l’étude de la conception du système d’enseignement postsecondaire de l’Ontario de même qu’à la prestation de conseils à ce chapitre. Il ne s’agit pas d’un exercice visant le changement en tant que fin en soi. En fait, la réalité propre au milieu actuel de l’enseignement postsecondaire nous contraint à poser une question cruciale : en quoi peut‑on assurer la prestation d’un enseignement amélioré à un nombre accru d’étudiants, dans un contexte où le financement par étudiant augmente peu, voire recule? Heureusement, nos recherches et les données que nous obtenons des autres administrations nous procurent des indices utiles sur les moyens d’en arriver à un rehaussement financièrement avantageux des résultats en éducation. Le fait que le gouvernement ait mis en pratique certains de nos conseils nous encourage. Nous sentons le besoin urgent d’en faire davantage, et de façon plus rapide.

À mon sens (et je conviens ici de mon parti pris en tant qu’observateur), il faut applaudir le gouvernement de l’Ontario pour la création du COQES. Peu de gouvernements consentent à instaurer des organismes autonomes d’où peuvent provenir certaines critiques envers eux. Je puis également affirmer que, depuis mon arrivée au COQES il y a cinq ans, jamais le gouvernement n’a exigé que nos recommandations ou rapports soient modifiés ou atténués, même si des critiques pouvaient y être perçues à son endroit.

D’autres commentateurs ont souligné l’intérêt de créer un organisme du même type que le COQES au sein des autres provinces ou à l’échelle nationale. Dans leurs interventions à cet égard, il est entendu que les politiques factuelles constituent des politiques améliorées. Notre mandat consiste à prodiguer des conseils factuels en vue d’une amélioration de l’enseignement supérieur. Tout bien considéré, tant notre utilité que la pertinence de la recommandation de M. Rae quant à notre création dépendent des répercussions que nous entraînons sur ce plan‑là.

Merci d’avoir pris le temps de lire ce texte.

Harvey P. Weingarten est président et chef de la direction du COQES.

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