Écart entre les sexes parmi le corps professoral dans les universités canadiennes

par Amy Kaufman et Julia Colyar, Ph.D.

Sommaire

Au cours des dernières décennies, les femmes ont réalisé des gains importants dans presque toutes les sphères de l’éducation. Elles sont plus susceptibles que les hommes de faire des études postsecondaires et d’obtenir de meilleurs résultats scolaires pendant leurs études et elles participent souvent davantage aux activités parascolaires et à la vie sur le campus. Toutefois, bien que les femmes représentent plus de la moitié des diplômés de niveau postsecondaire au Canada, elles demeurent sous représentées dans les rangs supérieurs des professeurs universitaires. Le nombre de femmes membres du corps professoral au Canada a augmenté considérablement au cours des trois dernières décennies, mais les progrès vers l’équité dans les nominations et la rémunération des professeurs universitaires sont lents et les femmes continuent de faire face à des obstacles culturels et structurels que leurs collègues masculins. La situation est encore plus difficile pour les professeures universitaires racisées, qui obtiennent une permanence et une promotion à des taux inférieurs à ceux des professeures non racisées.

Dans le présent rapport, nous contextualisons les obstacles structurels et culturels auxquels font face les femmes dans le cadre de leur carrière universitaire. Nous examinons les cadres théoriques qui aident à décrire et à expliquer comment les inégalités de pouvoir et de statut entre les universitaires de sexe masculin et de sexe féminin ont été créées et maintenues. Nous expliquons comment les femmes universitaires, en particulier celles qui assument des responsabilités en matière de soins, sont pénalisées dans les milieux de travail où l’inégalité entre les sexes est intégrée au tissu de l’organisation. Malgré l’évolution des normes relatives à l’éducation des enfants, à la prestation de soins familiaux et à l’équité dans les partenariats familiaux, il reste que les femmes assument une plus grande part du « deuxième quart » que leurs partenaires.

Les femmes universitaires sont également accablées par la « taxation » identitaire et culturelle, le fardeau unique imposé aux femmes et aux membres du corps professoral en situation minoritaire relativement à l’exercice de leurs responsabilités en matière de services en milieu universitaire (Wijesingha et Ramos, 2017). Les recherches indiquent que les femmes universitaires font plus que leur juste part en matière de services au prix de la productivité relative aux recherches, qui est davantage valorisée dans le contexte de la permanence et des promotions. Les femmes universitaires peuvent également être perçues par les comités d’embauche comme étant moins compétentes, ce qui peut se traduire par des écarts sur les plans de la représentation et des salaires.

Le plafond de verre est un phénomène envahissant qui fait référence aux normes et aux barrières non déclarées qui limitent les parcours de carrière des femmes. Il s’agit notamment du fait qu’il y a peu de femmes mentores qui assument des rôles de leadership institutionnel, de sexisme dans le milieu universitaire et d’hypothèses structurelles qui soutiennent les rôles traditionnels de genre. Les parcours de carrière sont également influencés par la diminution du nombre de femmes universitaires sur la voie d’une carrière unie, ce que l’on appelle « tuyau percé ». Les femmes choisissent de quitter le milieu universitaire ou en sont évincées en raison d’obstacles systémiques principalement liés à la prestation de soins et à la mobilité ascendante.

Ce rapport d’introduction est le premier relatif au projet sur les femmes dans le milieu universitaire du COQES, dont l’objectif est d’explorer les disparités entre les sexes parmi les membres du corps professoral des universités de l’Ontario. Nous mettons l’accent sur la représentation dans les disciplines et les rangs du corps professoral, l’écart de revenus, la carrière universitaire et les expériences des femmes universitaires dans les disciplines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM).

Introduction

Au cours des dernières décennies, les femmes au Canada ont fait des gains substantiels sur le marché du travail et dans le domaine de l’éducation. En effet, les femmes sont plus susceptibles que les hommes de poursuivre des études postsecondaires, et elles représentent la majorité des titulaires de baccalauréat, de certificat collégial et de diplôme (Edge et al., 2018; Jehn et al., 2019). Malgré ces progrès, les femmes sont toujours sous-représentées au sein du corps professoral à temps plein, et l’écart se creuse lorsque les femmes accèdent à des postes de direction universitaire (Momani et al, 2019; Academic Women’s Association, 2018).

La bonne nouvelle est qu’il semble y avoir une prise de conscience sociétale croissante de l’inégalité entre les sexes en matière d’emploi du corps professoral, comme en témoigne une série récente publiée par The Globe and Mail (Wang et Doolittle, 2021). La législation sur la divulgation des traitements dans le secteur public a rendu difficile de faire abstraction de l’inégalité de la rémunération des femmes dans le milieu universitaire, tandis que la pandémie mondiale de COVID 19 a mis en lumière les défis supplémentaires auxquels les femmes sont confrontées, comme l’augmentation des demandes en matière de soins familiaux et leur impact disproportionné sur les femmes (Oleschuk, 2020).[i] Les gouvernements en prennent également note : le Groupe de travail de l’Ontario sur les femmes et l’économie a été chargé d’étudier la croissance économique inclusive et d’éliminer les obstacles pour les femmes dans une économie post COVID (gouvernement de l’Ontario, 2021). Dans ce rapport d’introduction, nous examinons le contexte législatif de la discrimination fondée sur le sexe sur le plan de l’emploi en milieu universitaire, nous décrivons les recherches actuelles sur l’inégalité entre les sexes parmi les membres du corps professoral des universités de l’Ontario et nous examinons certains des cadres théoriques qui nous aident à comprendre la disparité entre les sexes dans l’emploi universitaire.

Étant donné l’absence de recherches longitudinales sur les carrières des universitaires canadiens, les chercheurs ont souvent utilisé des données, des preuves anecdotiques, des études de cas et des analyses transversales des États Unis pour examiner la promotion des femmes membres du corps professoral au Canada (voir Stewart et coll., 2009; Wijesingha et Ramos, 2017). Bien que le contexte américain soit important, il ne suffit pas pour expliquer les tendances en matière d’embauche et de promotion des membres du corps professoral dans les universités canadiennes. Le secteur universitaire canadien est défini par des taux plus élevés de syndicalisation, la stabilité de la permanence, un manque de différenciation et un faible nombre d’établissements privés par rapport aux États Unis. La plupart des universités canadiennes sont subventionnées par l’État, sont axées sur des programmes de premier cycle à forte intensité de recherche et comptent des professeurs syndiqués. Les associations de professeurs fournissent un soutien organisationnel et une structure pour les efforts de défense des intérêts du corps professoral; les conventions collectives négociées comprennent des grilles salariales et des procédures claires pour la permanence et les promotions. En raison de ces différences et du fait qu’il est important pour le Canada de confronter ses propres données, notre revue de la littérature porte principalement sur les recherches effectuées dans le contexte canadien.

Contexte : Revue de la littérature sur les femmes dans le milieu universitaire

Des progrès importants ont été réalisés en matière d’équité entre les sexes au niveau de l’enseignement postsecondaire au Canada grâce à des efforts de défense des intérêts, à un financement ciblé et à des mesures législatives. Le Rapport de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada de 1967 et le Rapport de la Commission sur l’égalité en matière d’emploi de 1984 ont examiné la réalisation de l’égalité des femmes en milieu de travail et comportaient des recommandations à cet égard (Silberman Abella, 1984). En 1986, le gouvernement canadien a mis en place le Programme de contrats fédéraux, qui permet de veiller à ce que les employeurs qui reçoivent des fonds fédéraux s’efforcent de créer un milieu de travail qui englobe quatre groupes désignés : les femmes membres des peuples autochtones, les personnes en situation de handicap et les membres des minorités visibles. La Loi sur l’équité en matière d’emploi de 1995 exigeait que les employeurs de compétence fédérale adoptent des pratiques qui permettraient d’accroître la représentation des membres, entre autres, des mêmes groupes désignés (gouvernement du Canada, 1995). Les universités canadiennes participent à ce programme en tant que bénéficiaires de subventions fédérales de recherche (gouvernement du Canada, s.d.). En Ontario, Loi de 2000 sur les normes d’emploi et le Code des droits de la personne de l’Ontario de 1990 protègent légalement les travailleurs contre le harcèlement ou la discrimination fondés sur le sexe ou le genre (gouvernement de l’Ontario, 2000; gouvernement de l’Ontario, 1990).

Il est typique que les établissements postsecondaires expriment un engagement à l’égard de l’équité et de la diversité dans leurs pratiques d’embauche des membres du corps professoral.[ii] De nombreuses conventions collectives du corps professoral comportent des clauses relatives aux anomalies salariales qui ont été rédigées en fonction de principes d’équité, et certaines universités canadiennes ont fait de sérieux efforts pour éliminer l’inégalité des revenus au moyen de la restructuration des salaires.[iii] Malgré ces initiatives importantes et l’élaboration de règlements fédéraux sur l’équité salariale en 2020, les écarts sur les plans de la représentation et de la rémunération des femmes universitaires persistent, ce qui révèle la nécessité d’un examen régulier et d’une enquête plus approfondie concernant les biais systémiques qui mènent à l’iniquité (gouvernement du Canada, 2020).

Les femmes ont réalisé des gains importants dans presque toutes les sphères de l’éducation au cours des dernières décennies. Depuis le début des années 1990, les femmes représentent la majorité des inscriptions à temps plein à l’université; elles représentent 56 % des titulaires d’un baccalauréat au Canada et 58 % des titulaires d’un certificat ou d’un diplôme collégial, de cégep ou non universitaire (Edge et coll., 2018). Les femmes sont plus susceptibles que les hommes de faire des études postsecondaires, d’obtenir de meilleurs résultats scolaires pendant leurs études et de participer davantage aux activités parascolaires et à la vie sur le campus (DiPrete et Buchmann, 2013). Bien que les données montrent que les femmes représentent plus de la moitié des diplômés de niveau postsecondaire au Canada, elles demeurent sous représentées dans les rangs supérieurs du corps professoral.

Sur le marché du travail, les femmes continuent de faire face à des obstacles culturels et structurels, contrairement à leurs collègues de sexe masculin. Malgré une perception de méritocratie dans le milieu universitaire, certaines recherches donnent à croire que ce milieu fait partie des pires délinquants en ce qui concerne la disparité entre les sexes sur le plan des nominations et des revenus dans le secteur public (Momani et coll., 2019). Bien que le nombre de femmes membres du corps professoral au Canada ait augmenté considérablement au cours des dernières décennies (Statistique Canada, 2019), les progrès vers l’équité en matière de nominations et de revenus dans les universités sont lents et il existe encore un écart « faible mais persistant » au niveau des salaires entre les hommes et les femmes universitaires de statut comparable (ACPPU, 2011; Wiedman, 2020).

L’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU) affirme que traditionnellement, les femmes ont été moins susceptibles d’être nommées à des postes permanents ou menant à la permanence que les hommes (ACPPU, 2008b). Une analyse longitudinale des données relatives à la permanence et aux promotions pour la période de 1984 à 1999 a révélé que les femmes avaient obtenu une permanence à un taux essentiellement égal, mais qu’elles avaient été promues plus lentement que les hommes du rang de professeur agrégé au rang de professeur titulaire, même en tenant compte des différences sur le plan des années de nomination, de la discipline et de l’établissement (Stewart et coll., 2009). Cela est particulièrement important compte tenu du fait que les femmes représentaient la majorité des membres du corps professoral au rang de professeur adjoint ou à un rang inférieur à celui ci (Statistique Canada, 2019). Ce problème s’est poursuivi au fil du temps, et des recherches indiquent que les préjugés sexistes dans l’ensemble du milieu universitaire persistent à l’échelle nationale et internationale (Bakker et Jacobs, 2016; ACPPU, 2008b; Yousaf et Schmiede, 2017; Ndandala, 2016).

La situation est encore plus difficile pour les femmes racisées membres du corps professoral, qui obtiennent une permanence et des promotions à des taux inférieurs à ceux des femmes universitaires non racisées (ACPPU, 2018; Wijesingha et Ramos, 2017; Henry et coll., 2016; Oleschuk, 2020). Les membres du corps professoral racisés font face à des pressions supplémentaires pour représenter la diversité au sein de leurs départements et sont souvent appelés à siéger à des comités et à assumer des responsabilités accrues en matière d’enseignement ou de mentorat. Ces activités accaparent du temps qui ne peut pas être consacré à la recherche et sont moins valorisées dans le processus de permanence et de promotion (Padilla, 1994; Henry et Tator, 2012; Wijesingha et Ramos, 2017). Même si nous reconnaissons que les membres du corps professoral racisés font face à des obstacles supplémentaires qui se chevauchent, les données relatives à la représentation de ces membres du corps professoral au Canada sont limitées et nous ne sommes pas en mesure d’examiner l’intersectionnalité parmi les membres du corps professoral universitaire selon les données disponibles (Henry et coll., 2016).

Obstacles auxquels les femmes font face dans le milieu universitaire

Il existe de nombreuses façons de réfléchir à l’inégalité entre les sexes et à ses causes. Certains chercheurs appliquent la théorie du capital humain pour comprendre pourquoi il y a moins de femmes qui occupent des postes de professeures titulaires (Wijesingha et Ramos, 2017). Les dirigeants des établissements et les comités d’embauche peuvent estimer que les femmes universitaires ont moins de capital humain — des compétences individuelles, des qualités et une expérience qui sont considérées comme essentielles à la réussite dans un domaine particulier — ce qui peut entraîner des différences sur les plans de la représentation et des salaires (Park, 2011; Perna, 2001). La productivité en matière de recherches, sous forme de publications et de subventions, sert de marqueur du capital humain dans le milieu universitaire et constitue la principale méthode utilisée pour évaluer les décisions en matière de permanence et de promotions pour les membres du corps professoral (Wijesingha et Ramos, 2017). Avec la théorie du capital humain, les différences en matière de permanence, de promotions et de salaires s’expliquent comme une conséquence de la productivité individuelle.

Certains chercheurs (Wijesingha et Ramos, 2017; Perna, 2001) ont fait valoir que la théorie du capital humain ne peut pas tenir pleinement compte des disparités dans la structure des récompenses scolaires. Par exemple, une étude réalisée aux États Unis a révélé que même si la productivité universitaire « contribue de manière significative » aux revenus des hommes du milieu universitaire, elle ne fait pas la même chose pour les femmes (Carlin et coll., 2007, p. 21). Les chercheurs ont utilisé les données recueillies dans le cadre d’une étude sur l’équité salariale pour indiquer que même si les femmes sont aussi productives que leurs homologues masculins (par exemple, au titre des publications, des subventions de recherche, des conférences, etc.), elles continuent d’obtenir une permanence à un taux inférieur (Carlin et coll., 2007). Selon l’ACPPU, la discrimination fondée sur le sexe ainsi que les différences sur les plans du niveau de scolarité, de l’expérience professionnelle, des heures de travail et de l’âge pourraient jouer un rôle dans les écarts de rémunération et de grade pour les membres du corps professoral (ACPPU, 2011).

Les milieux de travail canadiens sont également touchés par la compréhension et les attentes culturelles prédominantes concernant le « travailleur idéal », un concept qui découle des normes liées au genre du milieu du 20e siècle. La logique en milieu de travail dominante à l’époque favorisait les employés qui avaient peu ou pas de responsabilités à l’extérieur de l’organisation; le plus souvent, ces travailleurs étaient des hommes (Sallee, 2012; Ward et Wolf Wendel, 2016). Même si les femmes représentaient environ la moitié de la main d’œuvre canadienne en 2019 (comparativement à 22 % en 1951), une bonne part de la structure fondée sur le « travailleur idéal » persistait encore (Connelly, 2015). Les femmes continuent d’accomplir la majeure partie du travail dans les ménages (Statistique Canada, 2020b) — même lorsqu’elles travaillent à temps plein — et elles peuvent être considérées comme moins engagées à l’égard de leur travail rémunéré ou comme ayant moins de temps et d’énergie à y consacrer. Malgré l’évolution des normes relatives au rôle parental, à la prestation de soins familiaux et à l’équité dans les partenariats familiaux, les femmes dans des partenariats hétérosexuels continuent d’assumer une plus grande part du « deuxième quart » que leurs partenaires (Carriero et Todesco, 2018; Horne et coll., 2018; Lyonette et Crompton, 2015; Milkie et coll., 2002).

Les discours, qui proposent des façons de voir et de comprendre le monde, souvent en faisant référence aux rapports de pouvoir (Sunderland, 2004), constituent un autre point de vue sur l’inégalité entre les sexes. Les discours sexospécifiques — les façons dont nous conceptualisons les rôles des hommes et des femmes en ce qui concerne le travail et la vie familiale — peuvent être utilisés pour comprendre les attentes différentes des femmes et des hommes qui travaillent ensemble (Correll et coll., 2014). Par exemple, Griffith et Smith (2005) ont conçu l’expression « discours de maternage » pour saisir les soins, le travail et les inquiétudes qu’une culture attend des mères (Acker et Armenti, 2004, p. 18). On s’attend à ce que les mères soient les premières à répondre aux besoins de leurs enfants, mais elles risquent d’être jugées sévèrement par leurs collègues et leurs pairs lorsque ces obligations nuisent à leur travail. Les femmes peuvent garder leurs responsabilités familiales privées et ne pas obtenir de soutien, comme un congé de maternité, par crainte que cela n’influence de manière négative les perceptions des autres quant à leur productivité et à leur éthique de travail (Finkel et coll., 1994; Wolf Wendel et Ward, 2003). En fin de compte, ces décisions peuvent avoir des répercussions multiples sur les femmes : elles délégitimisent les difficultés qu’une femme peut éprouver à concilier travail et famille et, finalement, nuisent à sa progression professionnelle et à sa réussite.

Les femmes universitaires sont également accablées par la « taxation » identitaire et culturelle, le fardeau unique imposé aux membres du corps professoral sous représentés pour s’acquitter de leurs responsabilités en matière de services en milieu universitaire (Hirshfield et Joseph, 2012; Padilla, 1994). Cette taxation est encore plus prononcée pour les femmes racisées. Dans le cadre d’un bassin limité de personnes représentant diverses communautés au sein d’une université, les femmes racisées se sentent souvent obligées de jouer un rôle de mentores et de conseillères auprès de collègues et d’étudiants, au détriment du temps consacré à la recherche (Henry et Tator, 2012; Spafford et coll., 2006; Wijesingha et Ramos, 2017). Le travail lié au service peut également comprendre le rôle de chef de département, l’organisation de conférences, la participation aux travaux de comités, l’animation de réunions de professeurs ou l’organisation de fêtes (Carlin et coll., 2007). Le temps consacré à l’enseignement, au mentorat et à l’exécution d’autres types de services n’est pas consacré à la recherche; cela peut nuire à la permanence et à la promotion, lorsque la recherche est plus valorisée que le service (Bellas et Toutkoushian, 1999; Fairweather, 2002; Hirshfield et Joseph, 2012; Johnson et Harvey, 2002).

Les cadres théoriques décrits ci dessus éclairent ce que Loden (2017) appelait en 1987 le « plafond de verre ». Les femmes et d’autres groupes en quête d’équité dans de nombreux secteurs du marché du travail font face à des obstacles invisibles qui les empêchent de dépasser un certain niveau dans une organisation (Jackson et O’Callaghan, 2008). Ces obstacles sont composés d’un ensemble de normes inavouées et d’attentes déformées qui empêchent les femmes dans leur quête d’atteindre les postes de professeurs titulaires, de défunts, de chaires de recherche ou de présidents d’université (Bain et Cummings, 2000; Williams, 2005; Jackson et O’Callaghan, 2008; Pasquerella et Clauss Ehlers, 2017). Ces cadres théoriques sont également utiles pour comprendre comment les disparités entre les sexes dans le milieu universitaire perpétuent ce qu’on appelle le « pipeline de fuite ». Le pipeline fait référence au « cortège éducatif des étudiants de premier cycle qui passent du milieu universitaire aux professeurs permanents » (van Anders, 2004, p. 511). Le « tuyau percé » décrit la diminution du nombre de femmes universitaires sur la voie d’une carrière universitaire (Valian, 2005, p. 207). Les femmes choisissent de quitter le milieu universitaire ou en sont évincées en raison d’obstacles systémiques principalement liés à la prestation de soins et à la mobilité ascendante (van Anders, 2004; Mountz, 2016). Les défis systémiques et renforcés sont amplifiés dans certaines disciplines.

Sous-représentation des femmes par discipline

Les femmes ont réalisé des gains importants pour combler l’écart entre les sexes dans de nombreux domaines, mais elles sont encore nettement sous représentées dans certaines disciplines, en particulier dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM).[iv] On a accordé beaucoup d’attention au colmatage du tuyau percé dans les domaines des STIM — qu’il s’agisse d’encourager les filles à se joindre aux clubs de STIM ou de mentorat pour les professeurs débutants — mais l’écart persiste dans de nombreuses disciplines. Il est largement reconnu que le manque de femmes dans les domaines des STIM nuit aux femmes. Les professions des sciences et de la technologie — en particulier en génie et en informatique — comptent parmi les professions les mieux rémunérées et qui affichent la croissance la plus rapide, et une plus grande diversité renforce l’innovation et le rendement (Wall, 2019).

Les femmes sont sous représentées dans les postes de professeurs titulaires dans l’ensemble du milieu universitaire, mais il existe des différences plus importantes et plus marquées entre les sexes selon le rang dans les disciplines des STIM (ACPPU, 2018; Ginther, 2001). Bien que les femmes représentent maintenant la majorité des diplômés universitaires (Frank, 2019), elles sont toujours moins susceptibles que les hommes de détenir un diplôme dans un domaine des STIM. Selon le recensement de 2016, 37,5 % des hommes titulaires d’un baccalauréat l’avaient obtenu dans les domaines des STIM, comparativement à 15,3 % des femmes titulaires d’un baccalauréat (Statistique Canada, 2016). La proportion de femmes dans les domaines des STIM diminue à mesure qu’elles progressent dans le « tuyau percé » des études supérieures, de la formation postdoctorale et des postes de professeurs. Certaines études ont révélé que les femmes qui choisissent de s’intégrer à des domaines où elles sont sous représentées peuvent être plus résistantes aux obstacles ultérieurs (Cheryan et coll., 2016); toutefois, les données indiquent que plus les rangs sont élevés dans le corps professoral dans les domaines des STIM, plus le nombre de femmes est faible, ce qui donne à croire qu’il pourrait y avoir des problèmes de maintien des effectifs et de promotion dans ces domaines (Cheryan et coll., 2016; Eisenkraft, 2013).

Si nous voulons comprendre pourquoi si peu de femmes font partie du corps professoral en STIM, nous devons d’abord tenir compte de la socialisation précoce des garçons et des filles. Nous savons que les stéréotypes et les préjugés contribuent aux aspirations éducatives et professionnelles des très jeunes femmes (Seward et coll., 2019). Les enfants font face à des stéréotypes et à des perceptions concernant les capacités des femmes dans les domaines des STIM dès l’école primaire, où ils sont confrontés à des images sexospécifiques des professionnels dans la littérature, les médias et les outils pédagogiques. Ces stéréotypes persistent et définissent les perceptions des jeunes universitaires en ce qui concerne les carrières en STIM. En outre, les femmes sont dissuadées de s’intéresser aux carrières dans les domaines des STIM en raison de la culture masculine de ces domaines (Cheryan et coll., 2016). Comme le laisse entendre le Conseil des académies canadiennes (2012), les attentes fondées sur des stéréotypes, un environnement à prédominance masculine et l’approche restrictive axée sur les aspects techniques des STIM peuvent contribuer à la marginalisation des femmes dans ces domaines.

Ironiquement, la liberté de choix peut permettre le développement d’un « soi » selon des stéréotypés sexospécifiques (Charles, 2011). La liberté de choix peut mener les femmes à se mettre à l’écart des carrières en STIM parce que certaines d’entre elles peuvent croire qu’elles sont naturellement bonnes dans des activités conformes à leur sexe, considérer certains domaines comme plus appropriés pour elles, ou encore croire qu’elles aimeront davantage les domaines à prédominance féminine (Charles, 2011). Les décisions des femmes peuvent donc être expliquées comme un « choix » plutôt que comme le résultat de stéréotypes et de pratiques de socialisation. Si les filles ne sont pas encouragées à s’intégrer aux domaines des STIM en premier lieu, une incidence en aval sur le nombre de femmes qui poursuivent des études universitaires est inévitable et entraîne une rareté de femmes qui sont des modèles et des chefs de file. Les femmes membres du corps professoral jouent souvent un rôle de mentores qui ont une influence positive sur le développement professionnel des étudiantes (Dasgupta & Stout, 2014). L’absence de soutien et de modèles peut contribuer au « manque de confiance »; lorsqu’une nouvelle étudiante de cycle supérieur constate qu’elle est la seule femme dans le laboratoire, elle peut avoir de la difficulté à croire qu’elle est à sa place (Cheryan et coll., 2016).

Conclusion

Dans le présent rapport d’introduction, nous décrivons le contexte dans lequel les composants futurs dans le cadre de ce projet examineront le fossé entre les sexes sur le plan des nominations, des promotions, des revenus et l’expérience des femmes membres du corps professoral des universités ontariennes selon des données quantitatives et qualitatives. Nous avons examiné le contexte législatif de la discrimination fondée sur le sexe au niveau de l’emploi universitaire, décrit le contexte actuel de la recherche sur la disparité entre les sexes parmi les membres du corps professoral des universités ontariennes et exploré certains des cadres théoriques qui nous aident à comprendre la disparité persistante entre les sexes dans l’emploi au niveau universitaire.

Bon nombre des obstacles auxquels font face les femmes membres du corps professoral sont structurels et culturels et nécessitent une réflexion et une action soutenues pour permettre de les surmonter pleinement. Les femmes membres du corps professoral sont souvent confrontées à des attentes sexospécifiques en ce qui concerne leur productivité, leur engagement et leur expertise; elles peuvent également suivre des parcours professionnels tout en conciliant leurs responsabilités en matière de soins. Pour les femmes dans les domaines des STIM, le manque de modèles et de mentors s’ajoute à ces défis. Dans ce contexte, la voie vers la permanence et la promotion peut être difficile. Pour les professeures membres de groupes en quête d’équité, le défi peut être encore plus marqué.

Les membres du secteur postsecondaire ont la responsabilité de bien réfléchir à la manière de maintenir des effectifs de femmes universitaires talentueuses et de faire face aux obstacles qui perpétuent l’iniquité entre les sexes. Notre intérêt pour ce sujet découle, en partie, de notre volonté de comprendre pourquoi, après des décennies de progrès, de sensibilisation et de recherches et d’initiatives du gouvernement et des universités, il existe toujours un écart entre les sexes dans les universités canadiennes.

Le prochain rapport lié à ce projet, Tendances sexospécifiques en Ontario dans l’emploi des membres du corps professoral universitaire, est une analyse fondée sur des données concernant les nominations des membres du corps professoral en fonction de la discipline et du rang selon l’enquête du Système d’information sur le personnel d’enseignement dans les universités et les collèges (SPEUC PT) de Statistique Canada, qui contient des renseignements de qualité qui remontent à 1970. Le projet comprendra également un examen détaillé de la rémunération selon le sexe et la discipline ainsi qu’un examen approfondi du parcours universitaire. Dans le dernier rapport du projet, des femmes universitaires raconteront leur propre cheminement dans les rangs des domaines des STIM dans les universités ontariennes.

Bibliographie

Vous trouverez les informations de référence complètes ici.


Notes

[i] Des médias comme The Conversation et Affaires universitaires ont examiné comment cela touche les femmes membres du corps professoral.

[ii] La Loi sur l’équité en matière d’emploi fédérale exige que les employeurs déterminent et suppriment les obstacles à la carrière des membres des groupes désignés. Universités Canada a défini des initiatives relatives à l’équité, la diversité et l’inclusion dans les universités canadiennes.

[iii] Certaines universités canadiennes, notamment l’Université de Waterloo, l’Université McMaster et l’Université de la Colombie-Britannique (UBC), ont tenté de régler l’inégalité de genre en matière de rémunération en donnant une augmentation de salaire aux professeures occupant des postes menant à la permanence. Voir aussi OCUFA, 2016.

[iv] Dans le présent rapport, nous désignons les STIM comme une catégorie; toutefois, nous reconnaissons qu’il existe un écart important sur le plan de la représentation des professeures dans les domaines liés aux STIM. Ce point sera illustré dans les rapports et ressources suivants liés au projet relatif aux femmes dans le milieu universitaire.