Y a-t-il quelqu’un qui pourrait nous indiquer où seront les emplois de l’avenir? De cette façon, les protagonistes de l’enseignement supérieur pourraient planifier en conséquence, rajuster l’amalgame des titres de compétences et programmes, puis orienter les étudiants vers les programmes qui conviennent. En réalité, les étudiants n’auraient alors même pas besoin d’orientation, car ils choisiraient assurément des programmes de qualité supérieure et cesseraient de tomber sur des programmes les menant vers un cul de sac, notamment les lettres et sciences humaines. Quant aux employeurs, ils auraient enfin l’esprit tranquille, car leurs recherches de compétences opportunes en temps et lieu opportuns seraient fructueuses.
Soyons clairs : il doit bien exister une liste, quelque part. Nous savons qu’il y a des pénuries d’emploi imminentes, comme un manque d’ingénieurs et de gens de métiers, parce que la question a été amplement traitée. Nous savons également qu’il y a des surplus de connaissances, parce que nous avons vu des entrevues où des enseignants frais émoulus ne peuvent décrocher un emploi en enseignement. De plus, ce dont nous sommes témoins actuellement ne serait que le début d’un écart croissant : il y aurait à l’avenir une foule de gens sans emploi qui, malheureusement, ne possèderaient pas les compétences pour occuper des postes qui demeureraient vacants. De grâce, soyons responsables et dévoilons la liste afin de régler cet enjeu.
Maintenant, se pourrait il que cette quête d’une liste des compétences professionnelles particulières et emplois les plus en demande à l’avenir soit un rêve d’alchimiste? Serait ce qu’en réalité, comme nous l’avons lu et entendu, les emplois de l’avenir n’existent, pour la plupart, pas encore? Est ce à dire que notre seule certitude quant à l’avenir, c’est l’inconnu et l’insondable?
Nous pourrions continuer de jauger les pénuries actuelles. Les employeurs disposent de données sur ceux qui ont peine à pourvoir certains types d’emplois. Il existe aussi des données provenant des diplômés en ce qui touche les programmes de niveau collégial ou universitaire ne débouchant pas sur des emplois connexes. Il nous suffirait d’extrapoler à propos de l’avenir, ce qui serait mieux que de ne rien faire du tout, n’est ce pas?
À ce chapitre, examinons ce qui s’est passé. En 1999, le gouvernement de l’Ontario s’est mis à consacrer 70 M$ chaque année pour favoriser l’essor des inscriptions aux programmes en informatique et en génie électronique, en guise de suite donnée aux avertissements du secteur de la TI quant aux graves pénuries de travailleurs dans un secteur en expansion exponentielle. Or, l’année suivante, la bulle des technos a éclaté, et ce n’est qu’à l’heure actuelle que les emplois en technologie reviennent au niveau précédant cette bulle.
En 1993, histoire de donner suite aux analyses selon lesquelles cette mesure contribuerait à faire fléchir la croissance effrénée des coûts du secteur de la santé, le gouvernement de l’Ontario a restreint les inscriptions en médecine à l’université. Il en a résulté un recul relativement au nombre de médecins, dont la formation nécessite de six à dix ans, après quoi le gouvernement a dû engager une série d’investissements urgents, depuis l’an 2000, pour hausser les inscriptions aux programmes de médecine, compte tenu des pénuries de médecins.
En outre, face aux pénuries prévues à ce chapitre, le gouvernement de l’Ontario finance depuis l’an 2000 un accroissement pluriannuel des places en enseignement. Or, il avait auparavant comprimé de moitié les nouvelles places dans ce secteur pour composer avec les perpétuels surplus de main d’œuvre.
Tous ces investissements étaient appréciables, mûrement réfléchis et fondés sur les meilleures données disponibles. Dans deux des cas en question (les médecins et les enseignants), le gouvernement maîtrisait à la fois la demande (il rétribue les services donnés par les médecins) et l’offre (il assume le coût des inscriptions en médecine à l’université) sur le marché du travail. Que s’est il passé? Les responsables en cause auraient ils bâclé leur travail?
Selon toute vraisemblance, ils ont plutôt tenté de faire l’impossible. Les données relatives aux pénuries actuelles d’emplois ne permettent pas de bien prévoir la demande future en diplômés à l’échelle des titres de compétences, du champ d’études ou de la discipline. Même si tel était le cas, le remaniement de l’amalgame des diplômés dans l’optique d’une amélioration nécessite des années, après quoi d’autres changements interviennent dans le marché. De plus, pareille démarche serait elle fructueuse qu’elle constituerait une entrave au libre choix et aux aspirations des futurs étudiants de niveau collégial ou universitaire, fussent ils outillés des données les plus détaillées.
Il ne s’agit pas ici de renoncer à mieux outiller notre main d’œuvre en prévision de l’avenir. Quels que soient les – nombreux – autres buts et objectifs liés à l’enseignement supérieur, un avantage concret sur le marché du travail en fait partie. Les diplômés veulent obtenir un emploi et réussir leur vie professionnelle. Le marché du travail a besoin d’une main d’œuvre hautement qualifiée. Le gouvernement cherche à stimuler la performance économique. Quant aux établissements d’enseignement postsecondaire, ils cherchent des moyens inédits de satisfaire à de tels besoins.
Maintenant, s’il est vain de tenter de prévoir avec exactitude l’avenir des emplois et compétences, pourquoi ne pas essayer autre chose? Reconnaissons notre incapacité à prédire avec justesse en quoi consistera le marché de l’emploi à l’avenir, sur les plans qualitatif et quantitatif, et sachons outiller les diplômés à ce chapitre.
Certes, des compétences propres à la discipline et qui correspondent aux besoins des employeurs jouent un rôle important, mais elles ne fournissent pas une garantie totale à long terme. D’autres compétences sont tout aussi – sinon davantage – nécessaires, nommément les compétences cognitives de base et supérieures (la numératie, la littératie, la résolution de problèmes, la pensée critique, la communication), les compétences transférables et nécessaires à la vie courante (la confiance, la persévérance, la résilience, la gestion du temps), voire l’ampleur disciplinaire. De telles compétences ne seront jamais dépassées, ni discordantes. Grâce à celles ci, les diplômés sauront comment apprendre et réapprendre les compétences et connaissances propres à la discipline ou à l’emploi, au fil des décennies, des changements professionnels, de l’évolution de l’économie, ainsi que des mutations technologiques. Voilà de bonnes fondations pour l’avenir! Le point de mire du COQES sur les résultats d’apprentissage se rapporte tout autant à la satisfaction de la future demande sur le marché du travail et la prévention des pénuries de compétences qu’à l’amélioration de la qualité.
À quoi tout cela peut il rimer? Les collèges et universités fournissent et évaluent un ensemble équilibré de résultats d’apprentissage dans les catégories des compétences propres à la discipline, des compétences cognitives de base et supérieures, ainsi que des compétences transférables et nécessaires à la vie courante. Pour leur part, les étudiants sont tenus de rechercher un cheminement scolaire vaste et exhaustif; par exemple, celui qui est en formation professionnelle pourra enrichir son cheminement pas un cours facultatif en arts, alors qu’un autre qui étudie en lettres et sciences humaines pourra suivre un cours de mathématique ou de sciences pures. Enfin, les employeurs font bon accueil aux diplômés ayant une vaste formation, mais ils veillent davantage à doter ces derniers des compétences précises se rapportant en particulier au bureau, à l’atelier ou à la boîte à outils technologiques.
Dans de telles conditions, les prochains bouleversements engendrés sur le marché du travail n’auront rien de dramatique, qu’ils soient envisagés d’avance ou non.
-Martin Hicks, Directeur des données et des statistiques