De nouveaux rapports explorent les dures réalités du doctorat universitaire
Les inscriptions au doctorat dans les universités ontariennes ont pratiquement doublé au cours de la dernière décennie, alors que les deux tiers environ des doctorants aspirent à devenir professeurs d’université. Si l’on considère que les professeurs canadiens à temps plein sont maintenant les mieux rémunérés de leur profession dans le monde – travaillant davantage d’heures mais bénéficiant d’une plus grande satisfaction au travail que leurs homologues des autres pays –, on comprend la validité de cette aspiration.
Mais d’après deux nouveaux rapports du Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur (COQES), la demande de postes de professeur à temps plein surpasse de beaucoup l’offre. On estime que moins de 25 % des doctorants au Canada obtiendront un poste à plein temps de chercheur ou d’enseignant menant à la permanence, ce qui suscite un mécontentement grandissant chez les actuels détenteurs d’un doctorat et les nouveaux diplômés quant à leur degré de préparation à embrasser une carrière non universitaire.
Descriptions de projet
L’article En question du COQES intitulé « En quête d’un doctorat? L’attrait, les écueils et les résultats de la poursuite d’un doctorat », est une analyse détaillée de la recherche actuelle sur le paysage changeant du doctorat en Ontario. « Au-delà des laboratoires et des bibliothèques : Les cheminements de carrière possibles après des études de doctorat » est une étude qualitative des vues de 67 doctorants et titulaires de doctorat (en majorité) de deux universités de l’Ontario qui s’appuie sur 12 groupes de réflexion et 4 entretiens téléphoniques réalisés au cours de l’été et de l’automne de 2012.
De la hausse du nombre d’inscriptions à un programme de doctorat aux cheminements vers le marché du travail, ces rapports brossent, de l’univers du doctorat, un tableau détaillé assorti de commentaires candides d’étudiants qui relatent leurs expériences à cet égard. Les deux rapports se terminent sur des recommandations formulées à l’intention des étudiants, des établissements d’enseignement et des gouvernements.
Constatations
Les inscriptions à un programme de doctorat en Ontario ont augmenté, passant de plus de 10 000 en 1999 à un peu plu de 19 000 en 2009, cette hausse ayant été principalement alimentée par le financement des gouvernements fédéral et provincial, qui anticipaient le départ à la retraite des membres âgés du corps professoral et un effectif croissant d’étudiants de premier cycle (en particulier en Ontario). S’il ressort toujours des données que les titulaires d’un doctorat au Canada affichent les plus faibles taux de chômage, la réalité actuelle est que les possibilités d’emploi dans le secteur universitaire sont loin de foisonner – ce que les participants des groupes de réflexion imputent à des réductions de financement, à la fin du départ à la retraite obligatoire, à des classes plus nombreuses, à davantage de cours offerts en ligne et au recours croissant à des postes contractuels pour remplacer les professeurs qui prennent leur retraite.
« J’ai pris part, en mai dernier, à un atelier [où l’un des conférenciers a mis ce phénomène en perspective]. Au fil des ans, 33 étudiants étaient passés par son laboratoire et tous voulaient demeurer dans le monde universitaire; or seulement deux d’entre eux travaillent aujourd’hui dans ce secteur. Quant à moi, je me suis dit : ‘ Et puis zut, il faut que me trouve autre chose à faire.‘ »
Pourtant, malgré la pénurie d’emplois d’enseignant dans les universités, de nombreux programmes de doctorat, en particulier en sciences sociales et en sciences humaines, continuent de former et d’encadrer des étudiants en vue d’une carrière universitaire qui s’offre de plus en plus rarement.
Souvent, les étudiants au doctorat qui briguent un emploi non universitaire se sentent un peu démunis après avoir décroché leur diplôme, selon les rapports du COQES, en particulier s’ils ont eu peu de contacts avec le monde extérieur au secteur universitaire.
Dans l’étude qualitative, la plupart des participants ont déclaré que leurs études de troisième cycle ne les avaient pas suffisamment préparés à une carrière hors de l’habituel cursus universitaire. Certains ont mentionné qu’ils étaient incapables de parler ouvertement à leurs superviseurs de ce qu’ils pensent ou de leurs projets hors du monde universitaire.
« […] Je sens comme une réticence à promouvoir [des possibilités d’emploi qui sortent du cadre traditionnel des carrières universitaires] auprès des étudiants au doctorat. Il est difficile, ne serait-ce que d’avoir une conversation sur un emploi hors du monde universitaire. C’est un sujet que l’on n’aborde tout simplement pas…] ».
Si des efforts sont actuellement déployés pour offrir aux candidats au doctorat des stages et une exposition à des cheminements de carrière non universitaires, il s’agit en grande partie d’initiatives volontaires qui ne font pas partie des exigences de la plupart des programmes de troisième cycle. Et si les recherches montrent que les doctorants estiment avoir eu un conseiller diligent et bénéficié d’une bonne qualité d’enseignement, il reste que ces étudiants sont moins enthousiastes en ce qui concerne leur cheminement de carrière et l’acquisition d’autres compétences professionnelles, faisant observer que les services d’aide à la carrière semblent s’adresser davantage aux étudiants de premier cycle.
« Lorsque je consulte les annonces au campus, j’essaie de voir ce qu’on y offre, mais je n’ai pas l’impression que ces annonces d’adressent aux étudiants des cycles supérieurs; elles visent résolument un public de premier cycle. »
Mitacs, une organisation nationale qui offre des programmes de recherche et de formation aux étudiants des cycles supérieurs et aux stagiaires postdoctoraux au Canada, a été citée par les groupes de réflexion comme aidant à établir un pont entre le monde universitaire et l’industrie au moyen de l’expérience pratique et appliquée et de liens avec des employeurs potentiels.
Recommandations et incidence sur les politiques
Parmi les recommandations formulées dans l’étude qualitative, mentionnons les suivantes : créer un répertoire central de toutes les possibilités et occasions visant à soutenir, chez les étudiants, l’acquisition de compétences professionnelles et la formation professionnelle (un référentiel qui, idéalement, serait ouvertement partagé entre les programmes intra et interuniversitaires); avant qu’ils ne commencent leurs programmes de troisième cycle, fournir aux étudiants de l’information sur les choix de carrière et les compétences requises; offrir des stages et des programmes de mentorat aux étudiants des cycles supérieurs; suivre les cheminement de carrière des étudiants diplômés.
L’article d’En question recommande que les gouvernements se penchent sur leurs objectifs de promouvoir une hausse des inscriptions au doctorat et se demandent si les investissements consentis à cet égard produisent les résultats désirés, en tenant compte de la demande actuelle de titulaires d’un doctorat sur le marché du travail. Dans les programmes de troisième cycle, on devrait reconnaître que la majorité des diplômés n’obtiendront pas de postes de professeur à temps plein et les établissements devraient faire preuve de plus transparence au sujet des taux d’attrition et des perspectives sur le marché du travail.
Les auteurs notent que les étudiants devraient se demander si un programme de doctorat est réellement adapté à leurs buts et intérêts personnels et à leurs aspirations professionnelles. Ils devraient parler à d’autres étudiants et à de récents diplômés au sujet de leurs expériences, se renseigner sur les possibilités de perfectionnement professionnel et insister pour que leur programme universitaire leur fournisse des statistiques sur les résultats obtenus sur le marché du travail et sur les cheminements de carrière des récents diplômés.
Les auteurs de l’article « En quête d’un doctorat? L’attrait, les écueils et les résultats de la poursuite d’un doctorat » sont Vicky Maldonado, Richard Wiggers, du COQES, et Christine Arnold, étudiante au doctorat et ancienne stagiaire au COQES.
Les auteurs de « Au-delà des laboratoires et des bibliothèques : Les cheminements de carrière possibles après des études de doctorat» sont Allison B. Sekuler, de l’Université McMaster, Barbara Crow, de l’Université York, et Robert B. Annan, de Mitacs, Inc.